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Lulu

d'après Lulu de Frank Wedekind
mise en scène Jean-Luc Lagarce

: Lulu traverse le Monde des Hommes, livrée par elle-même comme un objet...

Lulu traverse le Monde des Hommes, livrée par elle-même comme un objet et l'objet si saisissable, si facile à posséder, en devient terriblement libre, sans lien jamais, sans rêve, sans désir compréhensible, sans regret de rien, sans remord jamais.
Elle se donne et se donnant à tous, ou le laissant croire, elle ne saurait appartenir à aucun. Et celui-là, désormais qui croit la tenir, qui croit l'avoir capturée, cet animal qu'on dirait sans scrupules et sans inquiétudes, et croit pouvoir toujours, jusqu'à la fin des temps, la garder, s'épuise aussitôt et se détruit de peur qu'elle fuit, qu'elle disparaisse. Il dit la posséder et souffre et meurt de se voir abandonné.
Et plus douloureux encore, lent comme le venin, le pitoyable chasseur tremble devant sa capture et s'inquiète toujours, jusqu'à sa défaite, qu'elle ne veuille rien d'elle-même, qu'elle soit acquise et qu'elle n'en éprouve rien, ni le plaisir, ni la douceur, ni même le dégoût.
Elle est donnée, elle est prise, elle est vendue, elle est échangée, et cet abandon sans tristesse qui semble la conduire et la faire voyager à travers l'étrange tribu des hommes aveugles de leur propre désir, son abandon est sa force, sa puissance.
Elle peut être juste posée là, ce qu'ils veulent et regrettent aussitôt, être un tableau, une image, un dessin. On l'accrochera au mur. Elle est un modèle, on voudrait la copier, la reproduire ou l'exhiber. On la représentera comme on voudrait qu'elle soit et elle sera telle qu'on la souhaite. Elle est un objet et un objet terrible qui jamais ne se révolte et dit ce qu'elle cache. Elle est un animal en cage dans le cirque des hommes, le cirque des dompteurs et des clowns vieillissants, le cirque des athlètes, des canailles, des grotesques et des lycéens, où viennent se mentir les amoureux du mensonge, les pauvres amants dans le désarroi qui confondront toujours leur passion et leur orgueil.
Elle est la femme dans le jeu en miroir des sexes, elle y joue l'innocence ou la perversité, l'Enfant et la Mort, elle est leur possession et la gardienne intraitable et détachée de sa propre prison. Cela ne la concerne pas, elle est ailleurs, toujours, dans une plus grande connaissance, infinie, au delà de la douleur, au delà de la tendresse la plus extrême, dans cette connaissance peut-être d'avant la naissance, qui, sans le savoir, nous conduit et nous perd.
Elle désespère l'amour.
Elle est une oeuvre qu'on construit, qui se laisse construire, modifier, une poupée facile qu'on habille et qu'on déshabille, qu'on costume en Pierrot, en femme du monde, en prostituée ou en garçon. Elle est l'actrice des autres dans le jeu des rôles, elle n'est pas elle, elle est ce qu'ils veulent qu'elle soit et de ne rien vouloir, de ne jamais sembler lutter, résister à personne et à rien, elle gardera son secret, son mystère, cela personne ne le possède. Personne ne peut étreindre son détachement et l'obliger à l'émotion. Toujours, elle sera seule, sans avoir jamais rien donné de l'essentiel, sans qu'on ai pu jamais lui prendre ce qu'elle possède au fond de l'âme, sans qu'on sache.
Et à l'instant ultime où pourrait apparaître ce qu'elle ne veut pas donner et ignore peut-être elle-même, elle sera détruite. Laissera-t-elle un instant admettre qu'elle puisse être vivante, qu'aussitôt elle mourra.

Jean-Luc Lagarce

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