La pièce propose comme objet d’étude, l’histoire tragique d’un couple : David et Jess. Pourtant, cette tragédie dans laquelle s’exprime pleinement le dilemme de l’homme moderne, brille par son absence dans l’écriture. L’histoire du couple nous est racontée indirectement ou par déduction : c’est une narration en creux. Le seul et unique tableau qui réunit David et Jess montre finalement que Love et Money sont irréconciliables : c’est l’aveu de l’échec de la tentative de rapprochement.

Le reste de la narration se fait par personnes ou situations interposées : les parents de Jess, l’embauche de David… qui nous révèlent des bribes de la vie du couple mais aussi que chaque personne est aux prises avec ce dilemme, et que chacun a choisi de les concilier différemment sans trouver le bonheur pour autant.

Ce que je veux donner à voir est que nous assistons et que nous participons à une expérience qui se passe en direct : la recherche a été décomposée en éléments simples et identifiables dans lesquels s’affrontent les deux concepts de cet essai théâtral : Love et Money.

Le théâtre comme terrain d’expérimentation, de recherche et d’interrogation du monde contemporain prend pleinement son sens avec cette pièce. Et l’écriture de Dennis Kelly s’ancre dans cette conception du théâtre en procurant une énonciation multiple au cours des différentes scènes : témoignage en prise direct avec le public, tranche de vie représentée, confession, rêverie, évènements racontés par des tiers et, en creux, la force de l’absence de l’histoire centrale, celle de David et Jess.

Cette énonciation si particulière est là pour nous faire expérimenter différemment la société de l’hyper-information dans laquelle nous vivons (blogs, publicité, articles de presse papier et internet, informations TV, fictions,…) et nous faire sentir comment il nous faut agglomérer, trier et extraire de ces matériaux disparates notre compréhension du monde.

Le public est placé comme instrument de mesure, de compassion, de jugement et de compréhension. Finalement, comme le témoin actif de la tragédie qui se raconte.

Nous mettre face à nos valeurs, à nos croyances, à nos errements, à nos choix, au travers d’une simple expérimentation théâtrale, voilà mon projet. Car le monde est tel que nous l’avons construit et il nous faut le connaître avant de prétendre le changer.

Benoît Seguin