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Transition, Lost in the same woods

mise en scène Vincent Steinebach

: Entretien avec Vincent Steinebach

En tant que jeune compagnie issue de l’ENSAD de Montpellier, nous nous attendions à ce que votre pièce Transition reflète l’apprentissage d’une école supérieure d’art dramatique : travailler avec des textes d’auteurs contemporains ou classiques, donner la priorité à des mécanismes interprétatifs épurés... Au lieu de cela, vous décidez de ne pas partir d’une pièce et on ne vous voit pas non plus sur scène en train d’interpréter des personnages. Cela dit, nous souhaitons vous poser quelques questions spécifiques : Avez-vous confiance dans la littérature dramatique, dans la figure de l’auteur de théâtre ? Ou l’urgence et la biographie, les relations humaines, personnelles, au sein du groupe que vous formez, sont peut-être un peu plus importantes au moment de créer que de mettre votre chair et votre sang au service d’une oeuvre littéraire consensuelle écrite par une personne qui vous est étrangère ?


Vincent Steinebach : Je n’ai pas vraiment d’idée arrêtée sur la « figure de l’auteur dramatique ». Ce qui est sûr, c’est qu’à l’origine du projet, ce n’est pas un texte mais la simple nécessité, mon envie profonde de réunir ce groupe autour d’une idée. Au premier jour de travail, nous ne savions rien si ce n’est que nous constituions un ensemble de personnes qui allait vivre le temps de la création. J’ai dessiné un groupe en mêlant des gens qui se connaissaient du collectif la Carte Blanche, et d’autres qui ne se connaissaient pas. Les confronter les uns aux autres était donc l’une des priorités du présent réel, au delà d’une recherche de texte qui est souvent la question centrale. Mais nous avons vécu d’autres présents dans le collectif où nous avons eu envie ou besoin d’auteurs et de littérature dramatique. Au sein même de Transition, nous utilisons l’écriture de Falk Richter, que nous mettons au service d’un propos dont la conception nous appartient, en gardant pour objectif la sincérité de dévoiler ce que nous traversons. Il n’est pas non plus exclu que nous écrivions des séquences. Rien n’est exclu.


Nous n’avons vu aucun signe de virtuosité d’interprétation (qui, en général, est liée au répertoire dramatique : Hamlet / Richard III / Julie / Nora / Nina / Ivanov / etc…). Au lieu de cela, Transition est plein de sentiments spontanés, de réactions et d’émotions non répétées, libres et non soumises aux partitions classiques ou aux marquages... Est-ce ainsi que l’interprète refuse d’être un instrument et s’aventure à être l’auteur, à être le créateur, à être le responsable de son oeuvre propre ?


Sur le plateau, le groupe fait loi, encore une fois. A l’intérieur de l’improvisation, chacun a en effet la charge de sa propre partition, mais surtout de l’avancée collective. Il n’y a pas de « personnages », ce sont les relations qui les créent et les font évoluer. Ça ne signifie pas être « gentil », bien au contraire, mais en cela, chacune des individualités, qui invente son texte au fil des soirs, se met au service d’une globalité malgré tout, qui si elle n’est pas en effet un « marquage classique », reste une forme de canevas, une idée préétablie par rapport au temps de jeu. Parmi les onze personnes qu’on trouve sur le plateau, tout le monde ne réagit d’ailleurs pas de la même manière a cette liberté/ contrainte. Certains des parcours s’écrivent en couches sédimentées, dans le temps, d’autres en coup d’éclat, c’est une richesse avec laquelle on essaie de jouer en restant encore une fois très sincère dans notre rapport au plateau.


Dans cette pièce, vous ne faites pas usage d’un décor ni même d’éléments qui puissent donner l’idée d’une installation. En revanche, vous utilisez l’espace concret au point que ce paysage devient une oeuvre. Nous faisons référence à l’utilisation des dessous de scène (vidéo en direct) et du jardin à côté de l’immeuble où vous avez présenté la pièce. Pourriez-vous nous parler de vos idées pour Transition au regard du concept de site specific, c’est-à-dire de la qualité narrative de l’espace dans votre travail ?


Là encore, l’idée c’est d’être au plus proche de la réalité de ce qu’on traverse. Les lieux dans lesquels on a tenté des choses pour ce travail nous ont énormément apportés. L’idée de laisser le spectacle s’écrire en fonction des lieux qu’il explore, en essayant d’être malin à chaque nouvelle proposition. L’utilisation de la vidéo hors champ n’est pas venue tout de suite d’ailleurs, dans un premier lieu nous utilisions les hauteurs du plateau. Globalement, que ce soit pour la « scénographie » ou pour les autres aspects du spectacle, il s’agit de ne jamais fixer définitivement, de ne pas chercher à être dans la reproduction de quelque chose, mais d’en retrouver toujours la nécessité présente. Il faut aussi dire que je suis très myope donc je ne vois pas grand chose, mais j’ai pour projet d’acheter des lunettes pour la suite de la création, donc peut-être que ça va pas mal changer.


Les minutes de Transition passent et nous finissons par penser que cette liberté pourrait être causée par un mécanisme de création collective ; cependant la pièce a une structure et un temps qui nous font penser à quelqu’un qui observe et structure le travail de l’extérieur. Pourriez-vous nous dire quel est le territoire du metteur en scène dans ce type de travail ? Ou plutôt : quelles tâches assure le metteur en scène dans le territoire occupé par votre processus créatif collectif ?


Je donne des règles et une direction. Il y a des quantités de règles de jeu secrètes que les acteurs respectent au plateau, qui parfois se devinent, mais souvent servent à nourrir un présent qui échappe au spectateur directement, qui entraîne des possibilités pour l’improvisation. Je suis garant de ce qu’on raconte aussi, étant seul à l’extérieur, je suis le seul à voir et à vérifier si le groupe dans son ensemble porte l’objet dans le bon sens, et fait éclore une vérité collective. En ce sens c’est beaucoup de coordination, de tri entre les nombreuses propositions. Mais il arrive également que je dirige les acteurs sur des morceaux de textes, ou sur des moments d’impros, on a pas de « méthode de travail » qu’on suivrait comme un dogme, tout se fait en fonction des besoins du jour.


Aujourd’hui, êtes-vous intéressés à produire du théâtre en dehors de votre propre groupe, travailler avec d’autres personnes, par exemple, pour l’argent ou pour vivre d’autres expériences ? Ou est-ce l’idée de groupe qui donne sens à votre création et fait l’oeuvre ?


Pour cette question je ne peux pas m’exprimer au nom du collectif ni des participants au projet. C’est simplement mon avis personnel. Ce groupe comme je l’expliquais avant est déjà une assemblée polymorphe, exclusive pour ce projet, constituée d’une partie du collectif la Carte Blanche, et d’artistes « invités » (l’autre moitié de la compagnie travaillant sur un projet connexe – la première partie de Transition). Je pense que c’est surtout l’envie qu’on a de travailler avec des gens, de dessiner un groupe justement, qui est constitutive de la création d’une bonne équipe de travail. Dans l’idéal, on voudrait ne travailler que comme ça, en tant qu’acteur ou porteur de projet, en respectant une envie et une nécessité ressentie de travailler ensemble. Mais on est une jeune compagnie, et on est loin d’avoir les moyens de mettre en place tous les projets qu’on a pour l’instant, et en ce sens oui, pour l’argent, pour accéder à d’autres réseaux d’autorités, je (ou d’autres) pourrais être conduit à ne pas travailler en groupe pendant un temps, en restant très ouvert au fait que cela peut générer des expériences intéressantes et enrichissantes.


Sur scène, vous paraissez des sortes de comiques-tragiques, dans le style des Chiens de Navarre. Vous parlez avec une certaine « légèreté » de questions importantes telles que l’impossibilité d’entreprendre un projet conjoint. Cette préoccupation reflète peut-être le moment présent de toute une génération ...


Je ne peux pas parler non plus pour toute une génération, nous, nous sommes concentrés sur ici et maintenant, sur nos peurs et nos désirs, sur les choses qu’on voit du monde qui nous entoure directement, ce qui nous en parvient de violent et d’aliénant. On essaie d’en rire parce qu’on aime bien ça aussi. On n’a pas la prétention d’être le reflet de quoi que ce soit de plus que ce qu’on voit et ressent. En l’occurrence, ce que voit et ressent un groupe de gens plutôt sensibles de moins de trente ans, c’est probablement ça qui fait l’effet « générationnel ».

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