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Lied Ballet

Thomas Lebrun ( Chorégraphie ) , David-François Moreau ( Direction musicale )


: Entretien avec Thomas Lebrun

Propos recueillis par Renan Benyamina.

D’où vous est venue l’idée de travailler sur des Lieder allemands ?


Thomas Lebrun : La forme du Lied m’est familière depuis longtemps. J’ai commencé à danser au sein d’une école, dans le Nord, qui privilégiait le courant expressionniste, non académique, une vision de la danse dans le sillage de Jacqueline Robinson. J’ai le souvenir d’y avoir dansé des soli sur des Lieder vers dix-huit ans. Je devais alors avoir une approche particulièrement généreuse, lyrique de ces Lieder. Par la suite, j’ai rejoint des chorégraphes comme Bernard Glandier ou Daniel Larrieu, davantage inscrits dans une écriture ciselée et poétique. Ces parcours parallèles sont, j’en suis conscient, repérables dans mon travail et ont construit intimement mon parcours de chorégraphe.


Comment transformez-vous ces Lieder en matière chorégraphique ?


Les Lieder développent presque toujours les mêmes thèmes : l’amour, la nature, la mort, l’errance. Dans le premier acte de Lied Ballet, nous travaillons sur la totalité de ces thèmes. Nous ne racontons pas d’histoire, les textes sont brefs. Certaines phrases de Lieder comme celle-ci d’Alban Berg : « Le printemps est sérieux, ses rêves sont tristes, chaque fleur semble bouger sous la douleur, une mélancolie secrète tremble dans le chant du Rossignol », sont de formidables bases pour développer une écriture chorégraphique singulière. Chacun des huit textes que j’ai retenus est traité selon des modalités différentes, à partir de contraintes et de consignes spécifiques.


La structuration en actes n’est pas sans rappeler les fragments ou séquences qui caractérisent plusieurs de vos pièces, comme La Constellation consternée ou Trois décennies d’amour cerné. Pourquoi une telle structure ?


Les fragments de La Constellation ou Trois décennies ont souvent été considérés comme des pièces successives mais il s’agit avant tout, pour moi, de pièces liées, qui composent une pièce globale. Le dispositif de Lied Ballet est très différent puisque huit danseurs sont présents simultanément au plateau. Dans Trois décennies, un groupe existait, mais il était observé membre par membre. Ici, le public fait face à une communauté. Toutefois, Lied Ballet peut s’apparenter à ces pièces dans la mesure où les actes introduisent, en effet, des séparations. Chaque acte est l’occasion d’une proposition très différente mais les trois se font écho et se répondent. La raison du choix des trois actes est simple : c’est la structure traditionnelle du ballet classique. L’analyse du Lied et du ballet m’a conduit vers une méthodologie, un concept : utiliser les textes des Lieder comme des livrets de ballet, travailler sur ses grands fondements : la pantomime, le livret, la narration, la technicité, une variation, un pas de deux, etc. Par exemple, dans le premier acte, nous approchons la pantomime. Nous n’avons pas cherché à reproduire ou à connaître tout le vocabulaire extrêmement codé de cet art. Nous en proposons plutôt nos visions propres et jouons à partir de nos représentations. Dans le deuxième acte, nous sommes partis des motifs du solo, du pas de deux, du pas de trois, des variations, produisant une danse beaucoup plus physique que dans l’acte un. Puis le troisième acte repose intégralement sur l’idée du chorus, comme on en trouve souvent dans un corps de ballet.


Vos pièces évoluent souvent de la narration vers l’abstraction, du théâtral vers l’épure. Ce jeu entre théâtralité et abstraction est-il important dans Lied Ballet ?


On peut en effet repérer cette construction dans plusieurs de mes pièces : une amorce assez illustrative, voire excentrique, puis une évolution vers la pudeur ou l’intériorité. Je ne programme pas ce parcours, il ne s’agit pas d’un effet recherché et en même temps, j’espère aller dans d’autres directions. Pourquoi faudrait-il choisir entre une danse théâtrale et une danse abstraite ? Ce sont des catégories qui permettent a posteriori d’identifier les formes, mais qui restreignent sur le moment le champ des possibles. Je crois qu’il sera particulièrement difficile de trancher en ce qui concerne Lied Ballet. On peut trouver dans chaque acte du narratif et de l’abstrait, avec des intentions et des enjeux nuancés. Je n’aime pas spécialement analyser cet aspect des choses. La suite, une fois le spectacle créé, appartient au spectateur. J’ai parfois l’impression de produire une forme plus performative que l’on considère pourtant comme de la « belle danse », alors que d’autres formes très écrites sont lues comme relevant de l’abstraction ou de l’expérimentation. La lecture d’une œuvre est propre à chacun.


Ce rapport entre « belle danse » et modernité de l’écriture explique-t-il votre intérêt pour la forme des Lieder, dont vous soulignez la diversité, du Volkslied populaire au Kunstlied savant ?


Les Lieder d’Alban Berg sont très intéressants de ce point de vue : certains sont très mélodieux, très doux, immédiatement inspirants alors que d’autres, beaucoup plus contemporains, peuvent paraître dissonants. En les écoutant, on a du mal à imaginer qu’il s’agit du même créateur. Cette liberté, que l’on retrouve aussi bien dans les textes que dans la forme, me plaît et m’amuse. Je me demande si à l’époque de leur création on débattait pour savoir si telle œuvre était un Lied narratif ou un Lied abstrait, juste ou innovant pour son époque. Je me demande si la liberté de création n’était pas alors plus grande qu’elle ne l’est aujourd’hui. Je développe un rapport similaire à la danse, ce n’est pas parce qu’à un moment de ma vie ou d’un processus de création, j’ai envie d’une danse explosive ou d’une écriture plus sereine, que je vais me restreindre par la suite à cela. Entre La jeune fille et la mort, Trois décennies d’amour cerné et Lied Ballet, nous faisons différentes expériences en rapport à la musique, à l’écriture, à l’interprète, au groupe. Chaque création me pousse à réinterroger mes envies de danse.


Les danseurs sont accompagnés par deux musiciens qui interprètent les Lieder en direct. Était-ce important pour cette pièce ?


Il m’importe beaucoup que la musique soit jouée en direct, qu’elle soit vivante, avec nous. Benjamin Alunni, ténor, et le pianiste Thomas Besnard sont de jeunes artistes ouverts et ils s’intéressent aux langages chorégraphiques. Ils sont au plateau dans une connexion directe avec les danseurs, qui eux-mêmes donnent à cette relation une place primordiale.


Dans le titre de votre pièce, Lied Ballet, on peut entendre une pointe d’ironie. Une fois de plus, vous jouez avec les stéréotypes, les représentations.


Le Lied est à l’origine une forme musicale populaire qui est ensuite devenue savante, telle qu’on la connaît. Il me semble que le ballet, dans ses formes classiques, a fait le chemin inverse. À la grande époque du ballet, le public était particulièrement associé à une haute classe sociale. Aujourd’hui, Casse Noisette par exemple, est présenté au Zénith et s’adresse plutôt à un public populaire. On ne peut pas dire en revanche que la danse contemporaine attire l’ensemble de la population et puisse être qualifiée de populaire ! Ce n’est pas radical à ce point, mais j’aime beaucoup travailler sur cette correspondance inversée. J’aime mettre sur le même plan des Lieder mélodieux et d’autres plus complexes. En réalité, des musiques peuvent être très savantes et pourtant « sonner » et c’est sans doute une possibilité que je revendique pour mon propre travail à travers la diversité chorégraphique que je soutiens depuis toujours. Cela m’amuse en effet assez d’intituler une pièce Lied Ballet, par rapport à ce que je produis habituellement et à la manière dont on peut l’étiqueter, l’étiquetage artistique étant un plaisir assez français !


Vous affirmez rechercher « des danseurs pour qui le plaisir de danser n’empêche pas l’écriture contemporaine ». Qu’entendez-vous par là ?


Les jeunes danseurs aujourd’hui peuvent être focalisés sur une possibilité de la danse. D’autres, plus ouverts et tolérants, laissent la place à cette diversité des regards qui m’intéresse. C’est avec ces derniers que j’aime travailler. Partir du principe que l’art chorégraphique doit être comme ceci ou cela, politique ou conceptuel, narratif ou abstrait, ne me satisfait pas. Un danseur qui refuse l’état de danse ou qui se contraint volontairement, par « branchitude », au point de plonger dans un nouvel académisme de la pensée ne m’intéresse pas. Je trouve même cela un peu triste. Je cherche des danseurs qui expriment un plaisir, un engagement personnel, qui défendent leur métier et qui sont prêts à défendre une pièce, en groupe, et pas simplement l’intégrité de leur engagement individuel. J’aime les danseurs qui aiment toujours donner et recevoir, qui mettent constamment leurs corps et leurs pensées en jeu.

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