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Liberté à Brème

mise en scène Cédric Gourmelon

: La piècce

par Cédric Gourmelon

Les thèmes


En dix-sept courts tableaux la pièce raconte la lutte d’une femme pour une impossible émancipation, une impossible reconnaissance sociale, où tous ceux qui la traitent en objet sont mis à mort.


Dès les premières scènes, Geesche est particulièrement maltraitée, battue par son mari, manipulée par ses parents, puis par son second mari. Fassbinder nous place dans une telle empathie vis-à-vis du personnage que l’on est prêt à accepter cette forme sinistre mais réelle de libération pour Geesche que sont les morts mystérieuses, successives des autres protagonistes. Geesche se bat pour reprendre en main le commerce familial, le faire prospérer, et on soutient son combat pour s’émanciper dans une société machiste et patriarcale. Lorsque dans la dernière scène elle avoue être responsable de tous ces assassinats par empoisonnement, un gouffre moral s’ouvre : commis par une femme réduite à une forme d’esclavagisme domestique, comment ces meurtres peuvent-ils être jugés ? Et au-delà, au sein d’une société inégalitaire entre les femmes et les hommes, la justice doit-elle être la même pour tous ? Et l’on pense par exemple au cas de Jacqueline Sauvage en France, cette femme condamnée pour le meurtre de son mari, après avoir été la victime de ses coups durant des années. Et au moment où j’écris ces lignes, l’actualité résonne particulièrement avec ces scandales éclatant au grand jour liés aux violences sexuelles commises par des hommes usant de leur pouvoir.


Au début des années 70 en Allemagne, les questions de justice et d’égalité entre les sexes et celle du militantisme politique radical se posent au quotidien pour Fassbinder et agite la troupe de l’antithéâtre dont il est devenu le metteur en scène ; même si pour lui le théâtre doit être uniquement un acte pacifiste, un lieu d’échange. On ne peut s’empêcher de penser au destin des deux femmes activistes de la Bande à Baader (le groupe Fraction Armée Rouge) Ulrike Meinhof et Gudrun Ensslin, toutes deux arrêtées et emprisonnées en 1972. On sait d’ailleurs qu’Andréas Baader et Horst Söhnlein étaient des spectateurs assidus de la troupe de Fassbinder à Munich.


Pour Fassbinder la question est immédiate-ment tranchée, rien ne peut justifier un assassinat, que la cause soit politique ou non. Il parle souvent dans ses interviews, au début des années 70, de son rapport à l’illégalité, en lien avec ses premiers films où il met en scène des criminels. Les voyous, comme les flics, comme les militants extrémistes, ne l’intéressent pas, ils sont identiques pour lui en quelque sorte. Ce qui l’intéresse se sont les relations entre les êtres, avec l’idée que la seule révolution à réellement encourager est celle qui doit se faire au sein de la sphère privée, dans sa relation aux autres, à la famille, au couple, dans son rapport au monde, à la liberté...


C’est bien la lutte que semble mener Geesche contre toutes les formes d’entraves (morales, conjugales, religieuses) pour pouvoir exister librement. Ce n’est qu’à la fin de la pièce que l’on comprend que cette lutte était perdue d’avance, Geesche était déjà condamnée avant même de se rebeller, écrasée par le poids des conventions et de la haine.La critique envers la religion et l’église est particulièrement acerbe dans le texte.


Geesche s’agenouille, prie et chante des cantiques après chacun de ses meurtres ; tous les actes de lâchetés ou de rejets sont accomplis par la grâce de Dieu auxquels tous les personnages s’en remettent.


la forme


D’un point de vue stylistique c’est la pièce de Fassbinder pour moi la plus «théâtrale», dans le sens où la langue y est la plus dense, ciselée, et où les personnages semblent sortir d’un drame bourgeois du 19ème siècle. Mais elle échappe à tout académisme par son ton et la radicalité de son découpage.


Sa forme hétéroclite est unique.
C’est un drame à stations (Stationendrama), genre peu développé en France, mais caracté-ristique du théâtre expressionniste allemand ou scandinave, où le héros traverse une série de stations ou d’étapes, reproduisant en quelque sorte le chemin de croix du Christ.
Fassbinder emprunte aussi à la tragédie classique avec le rituel après chaque mort, où Geesche chante un cantique à genoux, comme on fait l’offrande d’un sacrifice aux dieux.C’est aussi une pièce «Hitchcockienne» où une forme de tension créée par le mystère de ces morts à répétition sert à accepter la forme abrupte, infantile presque abstraite de cette construction par étapes, (je souhaiterais d’ailleurs dans la communication autour du spectacle, ménager le suspense, permettre au public d’avancer dans ce «thriller» sans en dévoiler le dénouement).
Enfin on peut aussi considérer la pièce par moment comme une farce macabre, tellement le rapport au meurtre est banalisé.


Pourquoi Fassbinder et pourquoi cette pièce


J’ai développé un grand intérêt pour l’œuvre de Jean Genet dont j’ai mis en scène des textes à plusieurs reprises.
Fassbinder est une sorte de cousin de Genet dont il a adapté le roman Querelle de Brest, au cinéma en 1982 (son dernier film avant de mourir à l’âge de 37 ans).


J’ai choisi de lire l’intégralité de ses pièces, adaptations et scénarios. J’ai découvert une œuvre impressionnante de radicalité et de créativité, qui jette un trouble sur les repères narratifs habituels.En résonance avec notre époque, son hygiénisme, sa bien-pensance, où des sujets redeviennent tabous, où les artistes doivent à nouveau s’exprimer dans le bon sens, et où surtout la fragilité et la complexité des comportements et des pensées humaines ne sont plus gages de richesse et de subtilité mais contiennent quasiment une valeur négative.
Et je me suis arrêté sur Liberté à Brême, que je considère comme l’une de ses pièces les plus abouties et peut-être la plus riche théâtralement, avec la claire volonté de la donner à entendre ou de la faire redécouvrir.


Ce projet s’est concrétisé suite à ma rencontre avec Valérie Dréville et notre désir de travailler ensemble. Je cherchais une pièce qui puisse lui correspondre, et dans laquelle elle pourrait déployer tout son talent.

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