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: Entretien avec Benjamin Guillard et Patrick Mille

Patrick Mille, vous relisez ces lettres à un moment pour vous douloureux... La lecture a-t-elle été pour vous salvatrice ?


Patrick Mille : Ce n’est pas vraiment comme ça que cela c’est passé, disons que c’est un moment douloureux, et pas des moindres puisqu’il s’agit de la mort de ma mère qui m’a amené à relire ces lettres à Anne. Je m’explique : à la mort de ma mère, je me suis retrouvé avec un gros carton rempli de lettres, c’était les lettres que mon père lui avait écrites durant toute sa vie. Essentiellement lorsque ma mère partait en vacances d’été avec nous, et que lui restait à Paris à travailler. C’était très beau. Je découvrais une part d’intimité même si je n’ai pas tout lu car ça devenait trop intime ! J’ai pensé furtivement que cela pourrait faire un spectacle. Mais rapidement, je me suis demandé qui cela pourrait intéresser... mis à part la famille, et encore pas même l'éloignée... C’est alors que je me suis souvenu de ces Lettres à Anne de François Mitterrand, que j’avais acheté à sa sortie en 2016, et dont j’avais lu une partie... Il y a 1218 lettres ! Je me suis replongé dans cet océan pour de bon, et là j’ai eu cette révélation de spectacle...


Benjamin Guillard, comment avez-vous reçu et lu ces Lettres à Anne ?


Benjamin Guillard : Patrick Mille avait le projet d’adapter ces lettres à la scène. Il connaissait mon intérêt particulier pour le travail de « seul en scène », il est venu vers moi pour me proposer de le mettre en scène. J’en suis flatté, excité et ravi...


Vos regards sur François Mitterrand ont-il changé à la lecture de ces lettres ?



Patrick Mille : Pour ma part, je suis de la génération Mitterrand, mon premier grand souvenir et même prise de conscience politique reste le dimanche 10 mai 1981 ! Fête dans l’appartement, parents ivres de joie mais pas que ! Sentiment de fierté d’avoir gagné, même par procuration parentale ! Changer la vie tout ça... puis, c’est le premier président pour lequel je vote en 1988, c’est quelque chose, la première fois qu’on vote, le vrai sentiment d’être majeur, de devenir adulte ! Évidemment, je le savais grand lecteur ! Vorace, collectionneur. Dernier de nos présidents à vénérer la langue française et à savoir bien la manier, subjonctif passé... on est loin du tweet... Bien sûr, politicien écrivain avec Ma part de vérité, La Paille et le grain, L’Abeille et l’architecte... Mais ce qui apparait à la lecture de ses lettres à Anne, révélées par Anne Pingeot vingt ans après sa mort, c’est qu’il est un immense écrivain ! Emprunt d’une force littéraire, d’une poésie brûlante, vibrante, parfois on croirait lire du Aragon, qu’ils adoraient avec Anne Pingeot.
Cette correspondance amoureuse parfois si stendhalienne par cet enchevêtrement du destin unique et de cet amour caché mais fou, en font, je pense, l’une des plus belles pages de la grande littérature amoureuse française. Et puis, une autre révélation à la lecture de ces textes, c’est son mysticisme, en tout un cas un rapport au surnaturel, à l’immatériel, extrêmement prégnant. Sa fascination pour l’art sacré, les églises, le chant grégorien n’est pas que patrimonial... Son rapport à la mort aussi, et avant même qu’il soit ce malade en rémission présidentielle, il comptait ses morts tous les soirs...


Selon quel angle s’organisent vos choix de textes, votre adaptation des Lettres ?


Benjamin Guillard : Cette correspondance, c’est trente ans d’amour. Trente ans de désir, de crises, de projets.
Trente ans d’une vie de couple forcément très particulière. Nos choix de textes vont pour l’instant tout simplement vers ce qui nous semble le plus beau, le plus étonnant, le plus riche. Nous évitons l’anecdotique sans pour autant nous l’interdire, parce qu’il est parfois déconcertant, incongru et drôle.


Patrick Mille : Nous avons confronté nos choix, nous voulions arriver à une sorte de monologue amoureux, comme une longue confession et déclaration mêlant l’intime et l’extime...


Quelle est la nécessité pour vous, de faire entendre cette voix, aujourd’hui?


Patrick Mille : Ce qui je pense ressort de cette correspondance, c’est au-delà de ce dont j’ai parlé auparavant, c’est un éloge du temps long ! Autant amoureux : d’ailleurs l’incipit choisi par Anne Pingeot est tiré des Essais de Montaigne, livre que tenait François Mitterrand dans ses mains pour son portait officiel de président par Gisèle Freund : « Qui me demanderait la première partie en l’amour, je répondrais que c’est savoir prendre le temps ; la seconde de même & encore la tierce : c’est un point qui peut tout.  » Autant amoureux donc que politique : une de ses phrases préférée, à François Mitterrand, était « Il faut laisser du temps au temps »... Il l’a appliquée, voire subie, je crois...


Benjamin Guillard : Mais étonnement, cette correspondance n’est que peu porteuse d’une parole immédiatement politique. Elle est essentiellement amoureuse. Elle nous éclaire cependant sur la personnalité parfois si complexe de Mitterrand. On y découvre un François Mitterrand diffèrent. Elle nous éclaire souvent par ricochet et à posteriori sur le grand homme politique qu’il fût.


Comment allez-vous procéder pour éviter l’écueil de la lecture d’une correspondance ? Ou l’incarnation sur scène de François Mitterrand ?


Patrick Mille : Déjà en en faisant un spectacle ! Pas une lecture ! Quant à la question de l’incarnation de François Mitterrand sur scène, je pense qu’il faut éviter effectivement le côté imitateur. Ce ne sera pas difficile puisque je n’ai pas vraiment le physique du rôle ! Donc j’essaierai de me rapprocher au plus près de son mystère.


Benjamin Guillard : Tout comme un journal intime, une correspondance, d’autant plus quand elle journalière, ou même pluri-journalière, comme c’est parfois le cas ici, c’est souvent une tentative de mettre des mots sur des sensations, des situations présentes et vécues. C’est une quête de mise en mots d’une pensée. N’est-ce pas le propre du théâtre ? Il se trouve que le recueil des Lettres à Anne ne comporte que peu de réponses d’Anne Pingeot aux nombreuses lettres de François Mitterrand. Ce spectacle sera donc un monologue...
C’est encore un peu tôt pour en parler mais je sais d’ores et déjà que cette parole sera accompagnée sur scène par quelques archives sonores et vidéos qui viendront parfois contextualiser la parole, et marquer les trente ans d’histoire qui séparent la première et la dernière lettre de Mitterrand à Anne Pingeot. L’idée n’est pas de chercher à incarner Mitterrand, mais de faire entendre ses mots. Avec force, conviction, bravoure, tendresse. Mais soyons clair, ce ne sera pas du tout une lecture, il y aura bien incarnation : celle de la passion.


  • Propos recueillis par Pierre Notte
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