theatre-contemporain.net artcena.fr


: Note d'intention

par Céline Milliat Baumgartner

J’écris Les Bijoux de pacotille pendant l’été 2013, pressée par la nécessité de poser des mots sur mon enfance, et d’en faire ma propre histoire.

Cette histoire retrace l’accident mortel de mes parents, qui vient bousculer le bon déroulé de ma vie d’enfant, et qui fait naître chez moi des trous noirs, des absences, des incertitudes. Cette histoire est un exercice de souvenir. Ou de deuil. En écrivant, je plonge dans ma mémoire, et tout le champ lexical de la nage y passe : submergée par le flot du passé, je brasse à contre-courant de l’oubli, les longues apnées abyssales font place à des éclairs lumineux, parfois je flotte, parfois je coule, souvent je rame. L’écriture s’avère physique, elle envahit mes jours et mes nuits, elle comble un manque, elle m’ennivre. Ce livre devient un inventaire de souvenirs : ceux qui restent, ceux qui ont disparu, ceux qui n’ont jamais existé, et tous ceux que j’invente. Ce livre est mon album photo fantasmé. Ma pensée magique. Celle qui me conforte dans l’idée qu’il vaut mieux vivre dans l’erreur que dans l’incertitude.


Le livre est publié en février 2015 aux éditions Arléa. Mes mots et mes morts, mes fantômes, sont ainsi rangés dans cet objet, ils ont trouvé une place et n’envahissent plus ma vie n’importe quand, n’importe comment. C’est bien. C’est plus confortable. Après la parution, je suis invitée à lire des extraits du livre, de façon informelle, dans une librairie, dans un café, même dans un appartement, et aussi de façon plus traditionnelle et qui m’est plus familière, sur une scène de théâtre, à la Maison de la Poésie. Je lis à voix haute ce concentré d’intimité, tout en craignant l’impudeur et l’indécence du dévoilement alors que l’écriture impose une distance dans ma voix, une distance joyeuse et évidente, que le corps se souvient de la traversée de ces mots : comme l’avait été l’écriture du livre, la lecture devient physique. C’est alors le théâtre qui s’invite et c’est presqu’une délivrance. Ce n’est plus seulement ma petite histoire que je livre, je comprends qu’en faisant de mes morts des personnages, qu’en leur donnant voix, j’ouvre la porte de l’enfance, de toutes les enfances. À voix haute, je m’interroge sur le chemin qui y mène. Je m’interroge sur ce mécanisme essentiel : comment chacun s’arrange avec ses souvenirs, comment chacun modèle sa mémoire et fait de ses fantômes le terreau rêvé de sa vie d’adulte.


C’est pourquoi, forte de cette interrogation, j’ai travaillé sur une adaptation de ce livre pour en faire un spectacle. J’ai invité Pauline Bureau à venir voir ce début de travail. Parce que j’aime infiniment dans ses spectacles le regard qu’elle porte sur l’intime, parce que j’aime sa façon sensible et délicate, incisive, de jouer du faux et pointer le vrai pour raconter des histoires authentiques, fortes, universelles. Et parce qu’il y a les fantômes de l’enfance dans le théâtre de Pauline. Elle a accepté de m’accompagner dans cette aventure, et de la raconter avec moi. Sans doute y aura-t-il un peu de magie aussi, de la vraie magie faite par un vrai magicien, Benoît Dattez. Et ensemble, nous rêverons à cette invention de l’esprit qu’est l’enfance.

Céline Milliat Baumgartner, janvier 2016

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.