: Note d'intention
Les Vagues déploient les soliloques intérieurs de six personnages, ou
plutôt de six figures: Rhoda, Jinny, Suzanne, Neville, Bernard et Louis,
de la petite enfance à la vieillesse; ces soliloques se présentent
sous forme de répliques, de dialogues intériorisés, une sorte de
théâtre silencieux et pourtant peuplé de mots. “Cela” parle, de
conscience à conscience, dans une sorte d’adresse muette.
L’écriture de Woolf est une écriture de la sensation, des affects,
des perceptions, qui rend compte de la simultanéité et de la
conjonction de tout ce qui nous traverse à chaque instant, ce qui
entre dans notre champ de vision, atteint notre oreille, nous fait
frissonner: de la pensée la plus haute et la plus abstraite à la
remarque la plus triviale, la plus banale. Tout ce qui fait que nous
ne sommes jamais “un”, précis, défini, déterminé, dans le moment
présent, mais ouvert, multiple, paradoxal, contradictoire et toujours
en deçà ou au-delà de ce moment.
De l’enfant, de l’adolescent que nous avons été, nous gardons, bien
plus que des souvenirs, la trace indélébile, une forme inscrite pour
toujours, un creuset dans lequel les milliers de jours passés viennent
se couler, se teintant différemment, mais nous pensons toujours
avec et par cette partie de nous qui tout à la fois a existé, n’existe
plus et demeure. De cela Virginia Woolf a parlé mieux que quiconque.
L’expérience, les événements, les accidents, l’apparence qui se
modifie, tout cela n’est rien. Au fond il y a cette cire fragile et
blanche, prête à couler dans toutes les directions possibles, qui
nous constitue ontologiquement, essentiellement.
D’une certaine façon, c’est le temps qui est le sujet des Vagues,
comment saisir ce flux, cette catégorie de pensée, ce champ sur
lequel les figures se développent, s’entrechoquent au gré de la
contingence de leurs existences.
C’est pourquoi, dès le début, cette adaptation a été conçue en
pensant que deux acteurs de génération différente prendraient
successivement en charge chaque figure créée par Virginia Woolf. Ils
sont donc douze comédiens sur scène. La communauté qu’ils forment
constitue l’utopie essentielle de cette aventure, et je les en
remercie.
Marie-Christine Soma
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