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Les Trois petits cochons

mise en scène Thomas Quillardet

: Note d'intention

Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française

Un conte qu'on connaît mal
Au-delà de l'adaptation qu'en a faite Walt Disney, et qui influence fortement notre imaginaire, Les Trois Petits Cochons est d'abord un conte de tradition orale, né en Angleterre au cours du Moyen-âge. Aucune trace écrite ne semble en exister avant la parution, à Londres à la fin du XIXe siècle, d'un recueil de Nursery Tales, sans mention d'auteur. Mais dans sa tradition orale, ce conte a voyagé et connu de nombreuses versions ; au cours des siècles, on en retrouve des traces en Pologne, en Allemagne, puis en France – plus spécifiquement en Lorraine et en Bretagne, et enfin en Italie. Il présente des constantes – l'histoire des maisons qu'on construit – mais aussi des variantes : tantôt, on a affaire à des cochons, tantôt à des oies, à des canards ou encore à des lapins... Il a donc fallu, dans un premier temps, faire un travail d'adaptation.
Toutes les versions commencent par une scène omise par Walt Disney ; celle où la mère – pour ce qui nous concerne, la mère des petits cochons – chasse ses enfants, de façon parfois très abrupte, soit parce qu'elle estime qu'ils sont assez grands, soit parce qu'elle vient d'apprendre qu'elle va bientôt mourir sous le couteau du boucher, soit parce qu'on lui a annoncé que ses trois enfants allaient être tués.
Autre élément important que le célèbre dessin animé édulcore : les deux premiers petits cochons ne partent pas se réfugier chez leur frère, poursuivis par le loup, mais sont successivement mangés par ce dernier une fois qu'il a détruit leurs maisons trop fragiles. De la même façon, à la fin de l'histoire, le loup n'est pas seulement ébouillanté lorsqu'il passe par la cheminée du troisième petit cochon et tombe dans la marmite ; il est purement est simplement mangé à son tour par ce dernier. Les Trois Petits Cochons est un conte aussi cruel que d'autres, où il est question d'abandon, d'errance, de deuil et de dévoration.
Les versions du Moyen-Âge mettent en outre l'accent sur un certain nombre de rencontres faites par les trois petits cochons ; il s'agit souvent d'artisans, qui leur donnent (ou, leur vendent, ce qui donne lieu à des scènes de négociation marchande) soit de la paille, soit du bois, soit... du fer pour construire leur maison. Contrairement à la version édulcorée américaine, présentée par Walt Disney, d'un petit cochon prévoyant, plus malin que ses frères, qui se construit une petite maison individuelle en briques avec un petit jardinet, la maison qui, dans le conte, résiste au loup est en fer, un matériau comparativement plus brut, plus froid.


Une adaptation théâtrale et fidèle
Dans l'adaptation faite pour la Comédie-Française, réalisée avec Marcio Abreu, nous avons choisi de garder de nombreux éléments originaux : la mère qui envoie ses enfants hors de la ferme, la rencontre avec des personnages « adjuvants » – qui, sous les traits d'un certain Claude joué par Bakary Sangaré (qui interprète également la maman-cochon) viendront offrir leurs services ou leurs matériaux aux petits cochons – la mort des deux premiers petits cochons et du loup. L'idée de la mort et du deuil doit être présente ; c'est d'elle que le troisième petit cochon se protège (en dévorant son ennemi !).
Chacune de mes mises en scène est une rencontre avec une équipe, et tient compte de ses spécificités. Pour Les Trois Petits Cochons, si le socle du spectacle est très écrit, très charpenté – avec une langue et une écriture affirmées, dans lesquelles les acteurs doivent entrer – j'ai cependant voulu maintenir des « niches dramaturgiques », permettant à ces mêmes acteurs de trouver des terrains de jeu personnels. J’ai toujours considéré que si un acteur est contraint, si un acteur n’aime pas ce qu’il fait, si un acteur dit un texte qu’il n’aime pas ou dit un texte avec lequel il n’est pas en accord, cela se sentira sur le plateau. Je lui laisse donc toujours une part de liberté et de création. Par exemple, au cours du travail de répétition, Serge Bagdassarian s'est beaucoup interrogé sur son personnage de loup : doit-on croire à ce personnage de loup ? doit-il vraiment faire peur ? Ou doit-on jouer avec les codes que le loup évoque dans notre imaginaire ?


Construire un monde à partir de trois fois rien
De la même façon, la personnalité de chacun des trois petits cochons aura des liens forts avec l'actrice ou l'acteur qui l'interprétera ; d'abord, parce qu'on verra sur scène des acteurs qui ne seront pas déguisés en animaux (tout au plus auront-ils des codes permettant au public, et notamment au jeune public, de les identifier en tant que cochons ; des tics, des sons, une façon de se tenir...), ensuite, parce que ces acteurs joueront des enfants (en puisant en eux-mêmes cette part d'enfance), et enfin parce que, comme tous les enfants qui affrontent la vie – fussent-ils des petits cochons – ils se barderont de toute une série de « totems » liés à leur histoire et à leur parcours, totems censés les protéger contre le danger, les aider dans leur deuil, leur donner du courage et de la bonne humeur. Ces totems sont autant d'objets puisés dans l'extraordinaire stock d'accessoires de la Comédie-Française, et que chacun des trois acteurs que sont Julie Sicard, Stéphane Varupenne et Marion Malenfant auront sélectionné de façon subjective. Ensemble, ils auront des comportements liés à leur rôle – à leur partition – mais aussi à leur part d'enfance ; des jeux, des petits rituels, des chamailleries, une forme de solidarité liée à la fratrie (dans la version que nous proposons, les trois petits cochons construisent la première maison ensemble, puis, ils sont deux à construire la deuxième, etc.). Ainsi, nous serons, le temps de la représentation, à la fois dans le conte, avec son côté cruel et merveilleux, et dans l'enfance, en activant l'imaginaire de l'un et de l'autre.
La scénographie fera écho à cette présence d'accessoires ; l'espace sera habité par les matériaux, comme la paille, le bois et le fer, au milieu desquels les petits cochons poursuivront leur chemin. Tous les éléments du décor seront très mobiles. Ils entreront, sortiront, se construiront, disparaîtront ; rien ne sera jamais fixe. Et l'on sait bien que grâce à notre imaginaire, avec trois bouts de ficelles, on peut se construire un monde. Nous allons donc essayer de créer des maisons avec trois fois rien ; cela nous connecte directement à la simplicité et au merveilleux du conte, et donc à l’enfance.


Être en état d'émerveillement
Le merveilleux d'un conte surgit du point d’équilibre entre son contenu (souvent cruel et effrayant) et la façon dont les personnages qu'il met en scène déploient leur imagination et leur personnalité dans les épreuves qu'ils traversent. Les Trois Petits Cochons illustrent bien ce schéma : une fratrie part en errance, découvre le monde avec une grande naïveté, expérimente une forme de solidarité, avec ses joies et ses peines, ses moments de bien-être et d'inquiétude, voire de terreur, face au danger qu'incarne le loup. Mais ces trois petits héros sont dans un état de constant émerveillement ; ils rencontrent une botte de paille qui parle, une planche qui parle, un chevalier en armure qui a perdu son cheval blanc. Il y a une grande source comique là-dedans. La manière dont les petits cochons réagissent à ce qui leur arrive est, au-delà de l'âpreté du conte, source de burlesque et de merveilleux. Chaque scène, chaque situation apporte sa part d'inattendu, de surprise, et tente de nourrir l’imaginaire enfantin, sur des sujets drôles et sur des sujets graves. Car le monde de l'enfance est fait de cet équilibre ; un conte n'est jamais ni complètement joyeux, ni complètement triste.

Thomas Quillardet

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