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Les Sorcières de Salem


: La Mécanique imparable d’une communauté humaine qui se déchire

par Emmanuel Demarcy Mota

Arthur Miller The Crucible n’était pas une pièce historique, bien que solidement documentée et tirée d’événements réels. Et de fait, nous sommes ici face à une œuvre d’urgence, écrite, on le sait, en pleine tempête maccarthyste, cette chasse aux "sorcières" supposément communistes qui fit ravage dans les années 1950 aux États-Unis et dont Arthur Miller lui-même, mais aussi Charlie Chaplin, Berthold Brecht et bien d’autres furent victimes.
Pièce d’urgence, donc, pièce d’engagement politique et social, qui montre comment l’intolérance et l’aveuglement collectif peuvent déchirer une communauté humaine dès lors que la raison cède à l’injustice et que tout le poids moral est donné à l’accusation. La frontière entre raison et folie, entre justice et fanatisme est parfois – et en tout temps – facilement franchie.


La communauté que nous observons ici, livrée à une meute d’enfants à laquelle « la vérité » est par principe accordée, semble agitée par des puissances alchimiques, des ingrédients explosifs qui mis en contact les uns avec les autres déclenchent des réactions chimiques incontrôlables. Sur cette terre américaine, encore gorgée du sang des indiens auxquels elle a été arrachée, les survivants, tels des scorpions, s’attaquent et se défendent jusqu’à l’aveuglement.La suite de comportements humains aberrants décrits ici, finit par générer un système de pensée et de valeurs, et dont la logique,comme dans n’importe quel phénomène de rumeur et de paranoïa collective, ne peut mener qu’au chaos. On voit dans la mécanique implacable qui se met en place, comment chaque individu, libéré de certaines entraves peut se laisser aller à dénoncer impunément son voisin, son rival, par vengeance, désir de possession, lâcheté, intérêt financier.
Comme dans un chaudron maléfique où les plus bas instincts seraient portés à ébullition, tous les paradoxes humains s’organisent ici en une machine rhétorique n’ayant plus pour objet que la mort, sous couvert de la recherche d’un certain type de "pureté". L’histoire de l’humanité,grande ou petite, est faite de ces enchaînements.Les puissances obscures qui sous-tendent la pièce et son déroulement: la convoitise, la sexualité réprimée, la quête de pouvoir et de reconnaissance, donnent naissance à un ensemble de rituels, de pensées magiques et d’actions mystérieuses.
C’est le lieu des fantômes et des morts, sans cesse évoqué à la scène.


Pour nous, après Rhinocéros de Ionesco, L’État de siège de Camus et même Le Faiseur de Balzac, la pièce s’inscrit dans une continuité d’interrogations sur l’homme et le pouvoir, sur l’humanité et ses valeurs, sur le courage et la résistance, les ravages de la pensée unique et totalitaire.
À sa manière, elle s’élève contre les facilités de lectures du monde et des motivations humaines,dont elle cherche à scruter la complexité. Influencée par une certaine "école Américaine" elle est aussi un passionnant territoire de recherches pour le jeu de l’acteur, dont elle peut interroger autrement les notions de sincérité et de vérité, de personnages et de situations. Un laboratoire, en somme, dont l’alchimie secrète tient aussi en son titre original,The Crucible, creuset dans lequel les ingrédients sont portés à ébullition.


Emmanuel Demarcy Mota

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