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Les Serpents

+ d'infos sur le texte de Marie NDiaye
mise en scène Jacques Vincey

: Note d'intention

Par Jacques Vincey – Mars 2019

Les Serpents m’ont mordu au coeur.
Les mots de Marie NDiaye sont un venin qui distille insidieusement des images, des odeurs, des sons… Les champs de maïs, la chaleur oppressante, la soif : des sensations concrètes, triviales parfois, qui suintent jusqu’à excéder la réalité et s’infiltrer dans les recoins les plus secrets de l’inconscient. Le fantastique affleure alors en filigrane, avec ses ombres et ses gouffres.


La pièce tient autant du faits divers sordide que du conte mythologique. Trois femmes sur le seuil d’une maison, un jour de 14 juillet. A l’intérieur, un homme (fils, mari, ex-mari) et ses deux enfants. Entre la mère et ses belles-filles apparaît progressivement l’ombre du petit Jacky, l’enfant mort enfermé par son père dans une cage avec des serpents derrière la maison.
Si Les Serpents était un film, on parlerait de thriller psychologique, ou de comédie satirique ou encore de conte fantastique. On saluerait l’importance du hors-champ, la qualité du suspense qui se distille progressivement depuis le ventre de cette maison dont on ne perçoit que des sons et des éclats de voix. On invoquerait Hitchcock, Scola ou Lynch.
Marie NDiaye écrit une pièce dans laquelle les différents genres se télescopent, se superposent et s’entrelacent pour nourrir une atmosphère rare de reconnaissance et d’étrangeté. Ces trois femmes nous sont familières : Mme Diss, France et Nancy oscillent entre peur et nécessité du lien, dépendance affective et affranchissement, désir de liberté et culpabilité de l’abandon. Elles sont réunies autour d’une absence, d’un creux, d’un vide : cet homme tapi au coeur de la maison contamine sournoisement leurs relations et ravive les blessures primordiales, les pulsions archaïques, les terreurs enfantines. Il est l’ogre, le vampire qui se nourrit et se régénère en dévorant ses enfants. Il est le démon qu’il faut affronter pour pouvoir s’en affranchir. Le fantôme de Jacky, l’ange sacrifié, rôde et obsède les protagonistes de cette tragédie contemporaine qui plonge ses racines dans les strates souterraines de notre imaginaire mythologique et biblique. Peu à peu, les bornes du réel reculent pour laisser place à l’insondable et au mystère. Rédemption, transfiguration, transmutation : France endossera l’identité de Nancy tandis que Nancy pénètrera dans la maison pour occuper la place de France. Seule Mme Diss restera sur le seuil, telle Cerbère le gardien des Enfers.


La puissance de l’écriture de Marie NDiaye est à la mesure de sa délicatesse : rien ne laisse soupçonner ces glissements d’un niveau de réalité à un autre. Elle ne nomme pas, n’impose rien. Elle laisse simplement percevoir la coexistence de différents seuils de perception. Mais sous cette simplicité, une solide architecture soutient une langue précise, musicale. La pensée hoquète, bégaie parfois laissant deviner des failles profondes dans l’identité des personnages. La psychologie compte moins que le flux et reflux des âmes et des corps. Comme dans ses romans, Marie NDiaye flirte avec l’inexplicable. Dans cette pièce, elle crée un champ magnétique dans lequel les vibrations de l’espace, de la lumière et du son provoquent des variations sensorielles qui ne peuvent s’épanouir pleinement que dans la promiscuité physique d’acteurs et de spectateurs.
Les Serpents est une pièce pour trois actrices.
J’ai réuni Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti et Tiphaine Raffier pour leur talent et leur complémentarité. Trois femmes puissantes[1] qui infuseront leurs sensibilités particulières dans leurs personnages respectifs. Trois interprètes qui ont le goût de la langue et savent porter haut le verbe et la pensée. Un trio d’exception pour donner chair à cette partition virtuose.
Après Mme de Sade, Les Bonnes et UND, je me réjouis de réunir à nouveau un plateau féminin pour exalter toute la force et la virulence des Serpents.

Notes

[1] Trois femmes puissantes roman de Marie NDiaye, prix Goncourt 2009

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