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Les Présidentes

+ d'infos sur le texte de Werner Schwab traduit par Françoise Delrue
mise en scène Françoise Delrue

: La Pièce

ce sont des gens qui croient tout savoir, et veulent décider de tout.
Je viens moi-même d’une famille de présidentes – WS


Les Présidentes, la pièce la plus jouée de Werner Schwab, c’est de prime abord l’histoire de trois femmes, Erna, Grete et Marie, petites bonnes femmes pétries de frustrations, rongées par de secrètes passions, et qui ont fondamentalement raté leur vie. Chacune règne sur son petit domaine où elle exerce en quelque sorte une spécialité.


Erna, championne de l’épargne, est obsédée par son charcutier polonais Wottila et porte la charge de son fils alcoolique.


Grete, reine de la séduction, se retrouve seule avec ses rêves de nymphomane, sa fille est partie, à l’autre bout du monde, en Australie, le plus loin qu’elle puisse faire pour échapper à la famille.


La petite Marie incarnation de l’innocence, règne sur le cloaque humain, en tant que spécialiste du débouchage manuel des toilettes, activité qu’elle pratique en public, sans utiliser de gants.


Erna, Grete et la petite Marie sont dans la cuisine-séjour d’Erna alors que le pape assène via la télé une énième bénédiction urbi et orbi.
Sur scène, un bric-à-brac de bibelots religieux, de souvenirs stigmatisés dans le style kitsch, une sorte de chapelle où s’entassent tous ces ex-voto récupérés du commerce religieux.
Ces trois prêtresses du sordide énoncent et dénoncent le monde avec des formules de comptoir, étalent sur le plateau leur histoire respective.


De la fange du quotidien elles basculent très vite dans un délire verbal et développent un rêve éveillé qu’elles font partager à leurs consoeurs et au public.
Elles rivalisent de propositions extravagantes, de fantasmes, dans lesquels le sexe sert paradoxalement à camoufler les parties sales et honteuses de leur condition. Leur refoulement mâtiné de bigoterie fait refluer les frustrations avec d’autant plus d’intensité qu’elles s’enivrent de leurs propres chimères.
La surenchère inhérente à la règle du jeu les pousse dans leurs extrêmes retranchements. Elles s’affrontent avec une énergie inouïe sans jamais renoncer à leur increvable désir. Le jeu de la vérité est d’autant plus cruel qu’il s’inscrit dans un univers violent et ordurier, si bien que le langage lui-même s’égare et les fait s’égarer.


La partie de rêve doit trouver sa résolution. C’est la petite Marie, parangon de pureté, qui bouleverse les règles, provoque le choc du retour à la réalité et fait capoter les délires des deux autres. Marie fait surgir dans le rêve des deux commères leurs enfants respectifs tels des « deus ex machina ». Ainsi elle révèle et met en acte la relation d’humiliation qui unit les deux femmes à leur progéniture :
Grete a accordé, des années durant, sa tacite bénédiction au pouvoir incestueux du père sur sa fille.
Erna se soumet corps et âme à la loi de son fils.
Marie se condamne de fait en venant briser la règle du jeu dans lequel chacun ne devait délivrer que ce qu’il voulait de sa part de vérité.


Les Présidentes appartient au registre des pièces socialement engagées, bien entendu, puisque ses héroïnes évoluent dans des milieux de petites gens à petits moyens, à petits rêves et à petite vie. La pièce parle encore de cette société autrichienne qui a mal « digéré » les années post-hitlériennes, où chacun tente de s’en sortir.
Erna touche une petite retraite et se glorifie d’épargner sur tout, elle se sacrifie à son fils dont on sent qu’il l’exploite.
Grete, femme seule, désire avec frénésie le pouvoir du mâle, tant dans le domaine privé que dans la sphère publique, exprime ses manques par des rêves de nymphomane.
Marie incarne la béatitude dont les toilettes seraient le lieu de sublimation. Elle collabore au système paternaliste de l’Eglise en la personne du prêtre, qui met en scène, à la façon d’un show obscène, les miracles de débouchage des cabinets. La performance publique transcende la petite Marie, à la manière hystérique de certaines émissions télévisuelles.


Les Présidentes se présente comme un assaut de virtuosité, un concours où la surenchère dans le délire est l’affaire des interprètes et pourrait se lire comme un exercice de cabotinage. La pièce parle du théâtre et flirte avec les limites de ce que pourrait être l’excès, dans un registre qui contient la tentation de la caricature.


Les Présidentes, c’est aussi une pièce sur le langage en tant que moyen d’exercer un pouvoir sur autrui : les personnages engendrent des univers qui ne sont surtout pas ceux dans lesquels elles évoluent, elles refont leur réel, mais c’est avec les mots également qu’elles ont la faculté de casser le rêve de l’autre.
Le « mal parler » des personnages les stigmatise dans leur appartenance à une classe de gens de peu. L’écriture de Schwab fait émerger un langage qui rappelle un dialecte, dans lequel les agencements bien régulés de la parole officielle sont bousculés et où les personnages deviennent créateurs d’une poésie qui va se nicher jusque dans le scatologique.
Cette nouvelle langue vient recomposer l’ordre du monde où sont définies les règles du bien parler et de la propreté.


C’est le processus d’écriture qui est abandonné par l’auteur aux personnages. Mais la machine s’emballe, la parole leur échappe et les conduit au meurtre, c’est comme si ces personnages sans auteur ne pouvaient que se détruire. Les excès de langage, la quête des limites, de l’extrême s’avèrent fatals.


La pièce, nourrie de provocations insensées et des ultimes transgressions, renvoie à l’annonciation de la mort de l’auteur.
La troisième et dernière scène, très courtes en texte, est l’impossible sortie d’une pièce qui ne saurait finir, que l’auteur ne pourrait finir.
On pourrait imaginer en effet comme suggéré par l’auteur, de jouer les présidentes dans les présidentes, dans les présidentes, dans les présidentes… ad libitum, jusqu’à épuisement du public, comme si le jeu engendrait un cône d’aspiration vers un trou noir.
Les indications scéniques irréalisables et provocatrices, mettent en abyme et la pièce et le théâtre lui-même comme répétition infinie d’un acte sacrilège où viennent se confondre public et personnages et dont on se demande : de quel spectacle est-on le public ?


« Le théâtre est une sorte de déchetterie supérieure ». WS

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