Pour la première fois depuis que nous l'avons lu publiquement - je n'ose dire "joué" - je relis les Orphelins. Cela me laisse un étrange sentiment. Comme s'il fallait se remettre à table avec ses morts, les sortit d'un caveau de famille et les asseoir, pour les écouter raconter les atrocités que comettent les vivants sur les vivants. Ou plutôt, les atrocités que les vivants s'infligent à eux-mêmes pour ne pas avoir osé les commettre sur les morts. E vogue il padre.

L'horreur de cette famille, c'est de ne pas avoir tué le Père.
L'horreur du Père, c'est de ne pas avoir été tué - après tout, il est fait pour ça -
L'horreur des fils, c'est d'être condamnés à n'être que les fils de. Leur lêcheté, c'est de s'y résigner.
L'horreur de la femme, c'est justement d'être la femme. Parce qu'avec les hommes aux basques, on devient la Mère de. On rêve de se tirer, et puis finalement on reste, à la rigueur on va mourir chez le voisin. De toute façon, le voisin, c'est le même. Ici, on joue à s'entre-crever les yeux. Le problème c'est que personne ne se les crève jamais soi-même. Par faiblesse ? Par lassitude ?

Familles, figures poussiéreuses qui semblent s'être échappées d'un roman de Dostoïevski.
Père despote, Ham de chez Beckett au pays des Attrides, à rester là, à n'en jamais finir de ne pas mourir.
Enfants salopés qui jouent à se tirer des balles en plastique dans la tête - ça fait mal quand même - vite vite se trouver une petite femme pour avoir le cul propre et les chemises bien repassées.

Les Orphelins de Jean-Luc Lagarce est une tragédie sans le sang. Un jeu de charclage familial.
l'horreur, c'est vivre dans le pus de l'abcès. Et finir par s'y sentir bien.
Apprenons donc à vomir avec tact.

Franck Dimech octobre 1997