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Les Nègres

+ d'infos sur le texte de Jean Genet

:Note d’intention

par Cristel Alves Meira

L’écriture de Jean Genet éveille mes sens et permet de révéler mon univers. Je choisis une pièce pour son contenu, mais aussi pour sa forme et pour les images qu’elle me donne à rêver. Je cherche à créer des atmosphères, des ambiances visuelles et sonores. Je veux réveiller chez le spectateur quelque chose de sensible qui dépasse le sensé. Les Nègres avec ses différents niveaux de jeu –hors-scène, hors-jeu, jeu masqué, etc.- nous balade d’un tableau à l’autre. Ce montage court m’intéresse. J’y reconnais quelque chose de cinématographique et surtout de très ludique. Le jeu l’emporte sur tout chez Genet. Les comédiens sont comme de grands enfants qui, en jouant aux cow-boys, le deviennent vraiment, et qui ne s’interdisent pas de devenir des Indiens au gré de leur fantaisie. Il en va de même pour les Nègres. Ils sont tantôt meurtriers, tantôt révolutionnaires, ou tout simplement comédiens ; autant de masques qu’ils s’amusent à endosser et à superposer.
L’identité réelle ou présumée, dissimulée ou parfois même usurpée, est au centre de mes questionnements. Je suis fascinée par le masque, par ce faux visage dont on se voile la face pour se cacher. Les apparences trompeuses, les clichés, les préjugés sont autant de détours qui brouillent notre conception réelle des autres ou de nous-mêmes. La scène est le lieu où le décodage est possible. Les masques peuvent tomber ou au contraire s’assumer. Dans Les Nègres, les comédiens clandestins, à la limite de la schizophrénie, se masquent. Ils deviennent Blanc oppresseur ou Nègre assassin. Traiter le masque chez Genet m’a permis d’avancer dans l’analyse de sa fonction : est-il, comme le voulait Genet, un élément expiatoire ? Ou bien le signe d’une insolence, le vecteur d’une certaine contestation ? Je pense au comédien noir qui joue à être le Nègre que l’on veut qu’il soit. La figure même du masque poussée à l’absurde en devient grotesque.
Mon objectif est de mêler, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la cérémonie propre à l’oeuvre de Jean Genet à l’improvisation. Le spectacle n’est plus présenté comme une oeuvre imperturbable aux contours parfaits. Il devient le lieu d’une quête d’équilibre, un espace faillible mais organisé, ouvert au public. Je réunis des comédiens d’horizons divers – Cameroun, Bénin, Côte d’Ivoire, Togo, Antilles, Inde, Chili, Etats-Unis, France - dans un souci d’élargir la définition du nègre et de ne pas la réduire à un pigment de peau. Le nègre est celui qui par sa différence est désigné par l’autre avec des termes faussés relevant du cliché. Il est la figure fantomatique née du désir de l’autre. Dans la pièce, cette image rassure et charme celui que nous pouvons appeler l’oppresseur ; l’opprimé, en réponse, tente de transformer cette imagerie et de la rendre inquiétante, voire grotesque. Je m’attache d’ailleurs à l’idée de Bakthine qui lie le grotesque au moment du carnaval, ce moment où le peuple, pour un instant, soulève le joug et se débarrasse des contraintes. Sartre voyait dans Les Nègres une messe noire. Je prolonge cette idée mais je pense que le temps du carnaval, par l’inversion des valeurs qu’il autorise, est la matrice où s’élabore le dispositif de Genet. La Reine de carnaval est couronnée puis détrônée par les Nègres. Le comique provient ici du rire et de la mort. Il émane de la destruction et y renvoie irrémédiablement.

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