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: Note d'intention

par Guillaume Vincent

Tout le monde connaît Les Mille et une nuits, en tout cas tout le monde peut s’en faire une image, des lampes merveilleuses, des tapis volants, des vizirs, des califes…


Un livre de contes qui est lui-même un conte : un roi est trahi par son épouse, il la décapite, et alors, plutôt que de risquer de subir un nouvel affront, chaque jour il épouse une jeune fille qu’il déflore et la fait exécuter au matin. Schéhérazade sauve sa tête en commençant une histoire qu’elle interrompt à l’approche du jour. Pour connaître la suite, le roi lui laisse la vie sauve, et les récits s’enchainent sans interruption durant mille et une nuits.


Des récits fantastiques, des récits édifiants, des histoires d’amour, des histoires scabreuses, des histoires drôles. L’imagination de Schéhérazade est sans limite.


Les mille et une nuits ou comment le pouvoir de la fiction est capable d’arrêter la barbarie.


Au XVIIIe Antoine Galland découvre le texte et le traduit. Le succès est immédiat, foudroyant. En France et dans l’Europe entière, l’Orient va être à la mode. Si les vizirs et les califes parlent comme le font les comtes et les comtesses des comédies de Marivaux, c’est que Galland donne une vision du texte qui se conforme au goût du jour.
L’autre grand contributeur à la postérité des Nuits est Mardrus qui au XIXème retraduit l’ouvrage et va même au-delà puisqu’il ajoute des contes, en réécrit certains, il exalte et exagère la sensualité des Nuits. Grâce à lui, Les Mille et Une Nuits redeviennent à la mode, notamment sur les scènes, avec les ballets russes bien sûr, mais partout où l’on veut de l’exotique et du merveilleux. Plus tard Hollywood perpétue cette image d’un Orient exotique et fantaisiste.


Aujourd’hui qu’en est-il de cet Orient de carte postale, cet Orient mystérieux, à la fois exotique et sensuel ? Bagdad, Bassora, Mossoul, Jérusalem, le Caire... Les villes que parcourent les Nuits ne nous évoquent plus ces romances fantasmées, où les femmes, moitié voilées moitié nues, s’étendent lascivement autour d’un bassin. L’imaginaire du merveilleux a laissé place à d’autres images, plus de lampes merveilleuses ni de tapis volants mais des images de guerre, de révolution... Des images différentes mais qui sont aussi de nouveaux fantasmes. Comment saisir la complexité d’un monde qu’on ne connaît pas et qui échappe sans cesse ?


Sans doute que l’Orient reste une construction imaginaire de l’Occident. La femme de Mardrus disait d’ailleurs : « Les Orientaux n’ont aucun sens de l’Orient, c’est nous autres les Occidentaux, nous autres les roumis, qui l’avons. »


Ce spectacle se veut comme un voyage entre ces univers réels et fantasmés. Entre l’Orient vu d’ici et l’Occident appréhendé à travers d’autres yeux.


Les Nuits viennent d’une tradition orale, on sait qu’elles ont été écrites à plusieurs mains, à travers plusieurs siècles et plusieurs continents, aussi a-t-on affaire à des registres très différents d’une histoire à l’autre ; si parfois on est dans un imaginaire hyper érotique, certains contes sont écrits avec l’efficacité d’une bonne pièce de boulevard, c’est parfois extrêmement drôle, parfois très violent et très glauque. J’aime évidemment ce mélange des genres et adapter Les Mille et Une Nuits, c’est aussi s’amuser à passer d’un registre à l’autre, à goûter les ruptures, à accentuer les effets de suspens.


Il y a plusieurs leitmotivs dans Les Mille et Une Nuits, l’amour est souvent au centre de ces contes mais il est aussi beaucoup question d’exil. La plupart des personnages des Nuits ont dû quitter leurs maisons, soit par esprit d’aventure, soit parce qu’ils y ont été contraints. La situation de ces personnages résonne de manière étonnante aujourd’hui. Faire entendre ces destins fictifs est aussi une manière de faire dialoguer ce texte avec le monde qui nous entoure.


À travers ces récits, je voudrais donc parler du monde contemporain, et notamment de notre rapport, à nous occidentaux, au monde arabo-musulman, à sa culture, à sa religion. Mais aussi, faire que le décor des Nuits puisse être cette France d’aujourd’hui, complexe, déchirée, dont il est si difficile de parler.
J’aimerais aussi pouvoir restituer la beauté initiale de ces contes, au premier degré, presque naïvement, avec la joie enfantine de faire voler des tapis. Raconter le trouble et l’ivresse des plaisirs de la chair, rendre compte de la sensualité qui traverse cette œuvre à travers la poésie bien sûr mais aussi le chant et la danse.


« Si l’histoire était écrite avec l’aiguille sur le coin intérieur de l’œil, elle serait une leçon à qui la lirait avec respect. »


Guillaume Vincent, octobre 201

Guillaume Vincent

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