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Les Mangeuses de chocolat

mise en scène Georges Guerreiro

: Entretiens

LA CUISINE DU METTEUR EN SCÈNE
Entretien avec Georges Guerreiro, réalisé par Vincent Babel. Extrait


Tu as une manière bien particulière d’aborder le travail, quel regard poses-tu sur ton rôle de metteur en scène.


Pour moi, la mise en scène est avant tout une aventure de groupe, ou chacun amène sa pierre. Dans cette optique-là, je préfère laisser, dans un premier temps, un grand espace pour les propositions. Je pense que c’est une bonne manière pour que le comédien s’approprie le rôle, parce que finalement, c’est lui qui va jouer, ce n’est pas moi… (rires). J’ai confiance en la créativité des gens. Je n’aime pas « montrer » à un comédien comment il faut jouer, j’ai peur de tuer son imagination.
Pour moi, la mise en scène, c’est aussi gérer les divers points de vue créatifs d’une équipe autour d’un projet. C’est passionnant de les confronter dans le but de raconter une histoire. C’est aussi la rencontre de sensibilités différentes de la tienne, c’est ça qui est très excitant.


Mais toi au départ, tu sais ce que tu veux faire, ton point de vue existe, tu ne fais pas un panachage de ce que tout le monde veut. Comment fais-tu pour que le point de vue du comédien rejoigne tes attentes ?


Je le manipule…(rires). Je plaisante ! En tant que metteur en scène, tu es l’œil extérieur. Tu es comme un cuistot, tu as les ingrédients devant toi et tu mélanges. Le but du jeu, c’est que la sauce prenne, alors tu essaies encore, encore et encore. Ici la recette c’est l’histoire que tu racontes, comment tu découpes, mâches et digères la phrase en pensant au sens et au goût que tu veux donner à ton plat.
Ce que j’attends d’un comédien, c’est qu’il soit réellement ouvert et qu’il se laisse aller dans les mots, la situation et le personnage. Le travail ne consiste pas à créer du paraître, il faut ÊTRE, s’investir complètement et s’oublier.
Il arrive que les comédiens avec qui je travaille soient déstabilisés par cette manière de faire, parce qu’ils sont habitués à être dirigés : « entre là, sort ici, etc. ». J’ai bien sûr un point de vue sur la pièce, mais je reste toujours en éveil. Je ne détiens aucune vérité absolue, et si je pense que les propositions que l’on me fait sont meilleures que les miennes, je prends. Mais le contraire doit aussi être possible, et c’est ce que j’attends comme état d’esprit dans le groupe avec lequel je partage l’aventure. Certains connaissent très bien cette manière de travailler et s’y jettent complètement. Ils comprennent la différence entre être et paraître et moi je n’ai plus qu’à balayer dans les propositions. [...]


Est-ce qu’avec cette manière de travailler, il reste une place pour ce que l’on appelle la construction du personnage ?


Il n’y a de place que pour ça. Le comédien va construire avec ce qu’il est et cela devient organique. Il ne dira jamais ses répliques avec la même intonation. Il sera toujours complètement en éveil sur ce qui se passe autour de lui.
La construction se fait à partir de lui-même, et c’est ça qui est intéressant, parce que c’est le meilleur moyen d’être sincère et d’atteindre le spectateur. C’est aussi ce qui peut être angoissant parce qu’on se retrouve face à soi-même, mais c’est la démarche que je défends.





LES PIEDS SUR TERRE
Entretien avec Philippe Blasband réalisé par Eva Cousido


Est-ce une nécessité d'écrire?


Oui. Je dois avoir des raisons inconscientes qui me poussent à écrire, mais puisqu'elles sont inconscientes, elles me sont par essence inaccessibles.
Je connais très bien la place biologique du langage chez un être humain. Mon fils aîné est dysphasique. Le langage n'est pas quelque chose d'acquis contrairement à ce qu'on croit. Ce n'est pas un simple outil extérieur, inventé par l'humain pour faire joli et arranger la communication sociale des individus. Si on laisse un enfant sans langage, si personne n'essaie de communiquer avec lui, il meurt. Le langage est un besoin biologique comme la nourriture. La grammaire se met en place chez l'enfant d'environ deux ans de manière soudaine, comme innée. À l'instar de l'instinct de survie de n'importe quel animal. Je sais qu'en écrivant j'utilise un des besoins vitaux humains et ça, ce n'est jamais innocent. Mais pour moi, c'est devenu une sorte d'habitude... de mauvaise habitude : je n'arrive pas à arrêter. J'écris par petits bouts. Je décompose ça en petites choses faciles. C'est alors comme écrire une liste de courses, de façon un peu plus sophistiquée.


Quel est le moteur de l'écriture chez vous?


Parfois un personnage, parfois un sujet ou une situation. C'est souvent une conjonction de différentes choses. Pour le roman Johnny Bruxelles, par exemple, je me suis rendu compte que Bruxelles était rarement le héros de livres, alors que Paris est au centre de plein de textes.


Qu'est-ce qui vous pousse à choisir le scénario, le roman ou le théâtre pour raconter une histoire? Je me demande ce qui est intrinsèquement théâtral, cinématographique ou romanesque dans mon sujet. Pour le théâtre, la question est de savoir pourquoi quelqu'un va proférer une parole sur scène et pourquoi quelqu'un d'autre va l'écouter. La théâtralité, c'est quelque chose qui est évoquée par le plateau, mais qui ne se déroule pas sur scène. C’est une deuxième réalité que le public invente. Il y a un ailleurs.


Comme quoi?


Pour Les Mangeuses de chocolat, l'idée est de montrer une thérapie qui rate de l'extérieur, sans y être. La place de la parole y est centrale. Au cinéma, ce serait ce qu'on appelle un film bavard. Dans Les Témoins, ma dernière pièce, c’est le fait que seuls deux comédiens font exister tout un village. C'est purement théâtral et, nécessairement, ça évoque autre chose. Au cinéma, ça ne marcherait pas.


Ces deux pièces s'inspirent directement de phénomènes sociaux. Les Mangeuses de chocolat traite du développement des thérapies de groupe et Les Témoins de l'affaire Dutroux. Au théâtre, avez-vous tendance à aborder les phénomènes de société?


C'est un hasard. C'est même rare que je m'inspire de ces phénomènes. Le point de départ des Mangeuses, c'est une comédie.


Mais vous critiquez les thérapies de groupe?


C'est une critique tendre. Je n'ai rien contre. Si c'est difficile de montrer comment une thérapie peut changer quelqu'un, c'est beaucoup plus simple de montrer une thérapie qui échoue. Je m'intéressais aux rapports au sein d’un groupe. Si j'avais fait une pièce sur une thérapie liée à l'alcool ou à un autre problème grave, le sujet aurait pris plus d'ampleur que la thérapie elle-même. Ici, je me moque tendrement du « Oui, je vous ai compris ». Le danger dans une thérapie, c'est quand le thérapeute est sûr d'avoir tout compris. C'est là que ça explose.


Ce qui est frappant dans votre dramaturgie, c'est l'absence de didascalies et la rareté des indications sur le dispositif scénique.


C'est une question d'efficacité. Dans mes premières pièces, j'en mettais. Très vite, je me suis aperçu que j’indiquais parfois des temps où ça me paraissait logique, mais que les comédiens faisaient tout autre chose. Et c'était mieux! Donc souvent, dans le travail de mise en scène, il faut défaire une série de didascalies. On écrit un texte a priori et on peut maîtriser plus ou moins ce qui est abstrait dans un spectacle, soit la parole. L'écriture, c'est une projection. Ce qui est concret, ce sont les comédiens, le grain de leurs voix, la lumière, la scénographie, le spectateur, le sol qui glisse ou pas. Or c'est tout cela qui crée la mise en scène et qui constitue les réelles didascalies.

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