Sur une table au centre du plateau, il y a des monceaux de papiers, des retranscriptions d’archives télévisuelles vieilles de 60 ans, des bouts d’interview… Mais pas des interviews de Marguerite Duras, non : des interviews par Marguerite Duras. Car ainsi en allait-il de l’écrivain révéré dans ce mitan des années 60 : elle ne se refusait – déjà – aucun défi. On lui proposait, pour une émission de télévision, d’inverser les rôles ? D’être la questionneuse quand elle était, d’ordinaire, la questionnée ? Elle ne se dérobait pas : elle interrogeait, avec le même appétit de comprendre, la femme de mineur, la strip-teaseuse, un enfant, un dompteur… À tous, elle lisait du Ponge ou du Michaux ou du Césaire. Et de cette mine de mots, de ce défilé de personnages, Isabelle Lafon a tiré un spectacle en perpétuel équilibre sur le fil des affectueuses complicités que Duras a toujours su tendre entre elle et ses lecteurs (ou, parfois, comme ici, ses non lecteurs.) Car on n’est pas là dans le théâtre d’archives : les interviewés vont, viennent ; ce sont eux qui tracent, en creux, le portrait de l’intervieweuse. Au point qu’à la fin, bien qu’invisible, ou presque, sur le plateau, elle est là. Drôle, inattendue. Présente.