theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Les Guêpes du Panamà »

: Extrait du texte

« En effet, quiconque cherche à comprendre le monde - notre monde actuel, d'apparence familière, mais jamais à court de surprises; qui nie aujourd'hui ce qu'il présentait comme vrai hier, sans toutefois garantir que ce que nous tenons pour vrai ce soir ne sera pas réfuté demain dès l'aube - se trouve en situation de conflit. Un conflit particulièrement âpre, pour une tâche angoissante, interminable. Un conflit qui ne prendra jamais fin ...


La vie semble avancer trop vite pour que la plupart d'entre nous puissions la suivre - sans parler d'anticiper ses mouvements. Il n'est rien de plus risqué que de prévoir une stratégie et de s'y tenir. La prévision à long terme paraissant, quant à elle, carrément dangereuse. Les trajectoires de vie sont ressenties comme découpées en épisodes. Épisodes dont les liens qui les relient ne sont perceptibles, dans le meilleur des cas, que rétrospectivement. Il en va ainsi en particulier des liens de cause à effet, des liens de détermination entre les épisodes. La signification et la destination du voyage génèrent autant d'angoisse et d'appréhension que ce monde plein de surprises - cette vie ponctuée de « nouveaux départs » - nous promet de plaisirs.


Une fois insérés dans ce cadre, contraints d'agir à l'intérieur, nous ne tirons aucun bénéfice des « filets conceptuels » dont nous avons hérité, ou que nous avons appris à utiliser pour saisir les réalités insaisissables. Les vocabulaires que nous employons d'ordinaire pour décrire nos découvertes se révèlent, eux aussi, inopérants. Quantité de concepts et de termes par lesquels nous exprimons une signification à nous-mêmes ainsi qu'à autrui sont désormais frappés d'inutilité. Nous avons urgemment besoin de trouver un nouveau cadre. Un cadre qui pourra saisir notre expérience, l'organiser de manière à nous en montrer la logique et présenter le message - message jusqu'alors caché, illisible, ou sujet à erreurs d'interprétation.


Je vais tenter un premier pas vers la mise au point du cadre en question.


Pour bien comprendre, observons l'aventure intellectuelle vécue par un groupe de chercheurs de la Zoological Society de Londres. Ces éminents savants se sont rendus au Panamá afin d'étudier la vie sociale des guêpes. Les scientifiques avaient emporté tout un équipement technologique dernier cri, grâce auquel ils purent suivre, six mille heures durant, les évolutions de 422 guêpes appartenant à trente-trois nids.


De fait, depuis que l'expression « insectes sociaux » - catégorie comprenant les abeilles, les termites, les fourmis et les guêpes - a été créée puis popularisée, les zoologues les plus éminents partagent avec le commun des mortels une conviction rarement mise en question: la conviction selon laquelle la « sociabilité » des insectes se limite à leur nid. Au nid dans lequel ils ont éclos, dans lequel ils rapportent leurs butins et qu'ils partagent avec les autres membres de la ruche. La possibilité que certaines ouvrières - abeilles ou guêpes - franchissent une frontière entre deux nids, qu'elles abandonnent leur ruche de naissance pour en intégrer une autre, leur ruche de choix, cette possibilité, donc, passait pour incongrue. L'axiome voulait, au contraire, que, en pareil cas, les membres indigènes, et par conséquent « légitimes » du nid chassent le nouveau venu, et le suppriment en cas de résistance ... »

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.