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Les Grands plateaux

+ d'infos sur le texte de Denis Lachaud
mise en scène Jean-Philippe Naas

: Questions / réponses sur le spectacle

14 avril 2010

Comment est né le désir de ce spectacle ?


Il y a quelques années, lors d’une résidence dans un collège, j’ai été choqué par les paroles très crues d’un groupe de garçons à propos d’une jeune fille. Il y avait derrière leurs mots des images qui ne correspondaient pas à des jeunes de cet âge. Sur le net, dans la publicité, à la télévision, les jeunes y compris les préados sont confrontés d’initiative ou par inadvertance, à une surenchère sexuelle. Clips musicaux, pornos en ligne, mode sexy, marketing érotique... C’est le règne de “l’hypersexualisation”. Le garçon doit être performant, la fille disponible mais pas trop. Je me suis demandé quel impact cette société “du cul, du corps, du trash” comme la désigne la sexologue Jocelyne Robert , avait sur ces êtres en construction ? Et quelles images les jeunes avaient de la femme, du couple, de la vie amoureuse ?


Ce sera donc un spectacle sur l’adolescence ?


Pas vraiment. Je trouve fascinante cette période de la vie où se rencontrent les territoires de l’enfance et de l’âge adulte. La prise de conscience de soi, du champ des possibles, une immensité qui peut fasciner ou angoisser. J’ai effectivement envie de m’adresser aux adolescents. Au début la bonne focale me semblait être la construction de l’identité sexuelle. Je me suis dit qu’il fallait leur parler d’amour plutôt que de sexualité, qu’avec Internet et les campagnes de protection, ils étaient déjà suffisamment informés. Finalement, mon champ d’investigation s’est progressivement déporté du côté du sentiment amoureux. Et cela ne concerne pas que l’adolescence.


C’est donc un spectacle pour les adolescents ?


Non, c’est un spectacle pour les adultes et accessible aux adolescents. Je pense que l’état amoureux nous ramène à l’adolescence. On est habité par une force qui peut nous mettre à plat ou nous donner envie de déplacer des montagnes, on se sent idiot aussi. On aime avec incandescence, avec des enjeux de vie et de mort. On se sent invulnérable et fragile en même temps. C’est en cela que le spectacle parle de l’adolescence. L’enjeu est de questionner le monde dans lequel nous vivons et celui qui se prépare avec les adolescents d’aujourd’hui. « L’adolescence est en effet ce moment où le jeune met à l’épreuve les liens familiaux et sociaux, tente d’y trouver sa place en intégrant les valeurs et capacités symboliques du monde qui l’entoure. Il n’est donc nullement surprenant que “la jeunesse” se révèle être le maillon le plus sensible et, de ce fait, un des meilleurs indicateurs de l’état de santé d’une société, un témoin de ses fragilités et de ses richesses[1] ».


Pourquoi avoir décidé de situer l’action dans un gymnase ?


Nous avons résidé dans un lycée durant trois années. Dans cet établissement, tous les midis, le gymnase reste ouvert aux élèves. Pendant que certains jouent au volley, d’autres grimpent sur le mur d’escalade, d’autres encore répètent leur chorégraphie, toujours la même musique en boucle. Dans les tribunes, on regarde, on joue aux cartes, on révise. Le plus souvent, sur le terrain, on ne se mélange pas. Les garçons jouent avec les garçons. Les filles jouent avec les filles. Le terrain est encore un territoire qui trace une ligne de séparation entre filles et garçons. Même si c’est justement le moment où garçons et filles recommencent à jouer ensemble, à se mélanger... C’est le lieu du corps et du désir par excellence.
Avec ce spectacle, j’ai aussi envie de parler du théâtre. Et pour moi, il y a beaucoup de parallèles entre le sport et le théâtre, la notion d’équipe, de collectif, le rapport au corps, l’échauffement, les règles... J’utilise beaucoup d’images sportives pour parler de mon travail de metteur en scène. En situant l’action dans un gymnase, je brouille les pistes. Est-ce qu’il s’agit de sportifs ou de comédiens qui se préparent à jouer ?
C’est aussi un clin d’oeil à la situation économique de la compagnie. Comme nos budgets de création sont très limités, nous sommes amenés à répéter dans tous types de lieux, des gymnases parfois.


Pourquoi avoir choisi une distribution exclusivement masculine ?


L’année passée, à la demande d’une enseignante, j’ai mis en jeu On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset.
J’ai fait le choix de concentrer nos efforts sur la scène 5 de l’acte II. Louis Jouvet[2] décrit cette scène comme un débat, un duel : “Ce sont deux enfants qui ne comprennent rien à la vie et qui en parlent comme tous les enfants parlent de la vie, avec des idées très précises. Ils s’affrontent comme s’affrontent le mâle et la femelle jeunes. C’est le problème, le malentendu le plus beau et le plus essentiel de l’humanité, c’est le malentendu chez l’homme et la femme au sujet de l’amour”. C’était une classe composée majoritairement de garçons. Au cours d’une séance, deux d’entre eux se sont retrouvés à jouer les dialogues de Perdican et de Camille. Tout d’un coup, nous échappions à cette répartition traditionnelle des rôles entre l’homme et la femme.
Pour les grands plateaux, je souhaite lutter contre l’idée assez convenue qu’il y aurait une conception de l’amour qui soit féminine et une autre qui serait masculine et que cela serait source de conflit. Pour moi, les différences ne se situent pas au niveau des sexes, mais plutôt entre les individus.
J’ai fait le choix de neuf hommes plutôt que neuf femmes pour deux raisons. La première est liée à une envie de changement, j’ai plus souvent travaillé avec des comédiennes qu’avec des comédiens. La deuxième est que je pense qu’il est plus surprenant de voir neuf hommes parler de leurs sentiments.


Vous parlez des corps, mais quelle sera la place du texte dans ce spectacle ?


Jusqu’à présent, mon travail de création s’engageait dans deux voies différentes. La première était la mise en scène de textes, théâtraux ou non (Alberto Moravia, Marguerite Yourcenar, Jean-Luc Lagarce, Patrick Lerch, Villiers de l’Isle Adam, Alfred de Musset...). Pour la deuxième voie, tout partait de l’agencement d’un ensemble de faits et de leur résonance en moi. Il en résultait une écriture scénique liée à une succession d’expérimentations sur le plateau et qui aboutissaient à des spectacles sans mots prononcés.
Avec les grands plateaux, je souhaite introduire la parole dans cette écriture. Je veux tenter de lier des éléments polysémiques, où le texte apporte des éléments de sens sans en être le seul dépositaire. Et pour cela la rencontre avec Denis Lachaud a été déterminante. Depuis plusieurs années, nous nous apprivoisons. Denis a accepté de se mettre au service de mon univers artistique.
Avec les interprètes, nous partirons des corps, des rapports de corps et d’espace, proximité, éloignement, groupes... des énergies, vitesse, accélération, ralentissement, déséquilibres... Nous prendrons appui sur Roméo et Juliette de Shakespeare, en gardant quelques situations de jeu et la scène du balcon.
A partir de ces explorations, Denis proposera des monologues, des dialogues. Puis nous chercherons les voies pour que les mots résonnent dans les corps des interprètes.
J’ai envie que le spectacle ne soit pas qu’une succession de séquences. Il y aura plusieurs strates qui s’entrecroiseront, des comédiens au travail, leurs échanges sur l’amour et au sein du groupe, une histoire d’amour avec une intrigue. La narration tentera d’échapper à une éventuelle linéarité dramaturgique.


Pourquoi ce titre, Les grands plateaux ?
Il s’est imposé dès le départ. Il correspond à un besoin d’espace. Je rêve de courses, de sensation de vide, d’ouverture, de vertige. Et quoi de mieux qu’un grand plateau de théâtre pour faire ressentir cet état dans lequel nous plonge le sentiment amoureux.
Un grand plateau, c’est aussi un espace géographique avec une ouverture maximale.
Pour la compagnie, ce projet est une prise de risque importante, nous changeons d’économie, neuf comédiens, pas de texte préexistant, une commande à un auteur et à un plasticien, une expédition dans des territoires qui ne sont pas les nôtres. Mais je crois qu’il faut retrouver un peu d’insouciance dans ce monde sclérosant.

Notes

[1] L’adolescence aujourd’hui, texte faisant écho à la conférence donnée par Antoine Masson, publié dans : Bulletin trimestriel des Bureaux de Quartiers, 4ième trim 2003, Nº63, Bruxelles, Belgique

[2] Tragédie classique et théâtre du XIXème siècle, Louis Jouvet - Gallimard

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