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Les Estivants

+ d'infos sur le texte de Maxime Gorki traduit par Martine Bom
mise en scène tg STAN

: Entretien avec Franck Vercruyssen

Propos recueillis par Ève Beauvallet pour le Festival d’Automne à Paris

Vous créez aujourd’hui la version française des Estivants de Maxime Gorki – la version néerlandaise de votre spectacle ayant été créée en 2010. Ce n’est pas la première fois que les membres de tg STAN travaillent sur Gorki puisque vous avez monté en 1994 (en néerlandais) puis en 1997 (en anglais) The Last Ones. Pourquoi revenir aujourd’hui à cet auteur ?


Frank Vercruyssen (tg STAN) – Vous savez, nous conservons toujours des écrivains comme Tchekhov et Gorki dans nos coeurs, c’est presque une nouvelle retrouvaille entre amis. Avec Büchner aussi, ce sont des auteurs qui ont été fondamentaux dans le parcours de tg STAN. Pouvoir jouer un auteur russe du début du XXe siècle, en lui superposant notre propre histoire, se plonger dans ces dialogues savoureux à propos de la vie, de la solitude, du mariage, de la politique, c’est formidable et ce sont des choses dont on aime parler sur scène entre nous. En plus, le « personnel dramatique » des Estivants convenait parfaitement au groupe que nous voulions réunir sur scène : ce sont parfois les acteurs, les rencontres, qui influencent le choix du texte et non l’inverse. On a longtemps hésité entre Les Estivants et La Mouette de Anton Tchekhov mais, dans La Mouette, on aurait vraiment dû forcer le texte à se plier au groupe. C’était beaucoup moins pratique en termes de distribution alors que la pièce de Gorki nous offre beaucoup de possibilités, chacun a des séquences excitantes à jouer. Il y avait donc un peu de pragmatisme ! Cela dit, c’est un texte qui nous accompagne depuis longtemps, un texte qu’on a souvent lu ensemble. Je dis toujours que ce sont les textes qui te choisissent et non l’inverse. C’est-à-dire qu’on peut lire un texte en 1991 et s’apercevoir que c’est un texte incontournable, superbe, et le laisser de côté. On peut le relire dix ans plus tard et ressentir l’évidence que c’est le moment opportun de le monter sur scène. Chez nous, c’est souvent comme cela que les choses se passent, en tout cas. C’est parfois simplement le texte qui dit « oui, c’est maintenant » ! Après, pardonnez-moi l’expression, mais ce texte est un beau bordel ! Il y a pas mal de travail à réaliser puisque c’est une pièce qui nécessite de légères adaptations, c’est inévitable.


Pourquoi l’adaptation vous semble-t-elle nécessaire ?


– Gorki est beaucoup plus rude dans l’écriture que des écrivains comme Tchekhov, Strindberg, Ibsen ou Schnitzler. J’ai conscience que ça peut paraître très condescendant de souligner cela, mais je crois vraiment que les acteurs d’aujourd’hui doivent aider le texte à s’actualiser. En tout cas, à ne pas s’enfermer dans une époque sociopolitique donnée et à éviter la commémoration. Disons qu’il y a dans Les Estivants beaucoup de sermons, une certaine forme d’insistance parfois… Il n’y a pas la même économie d’écriture que chez d’autres écrivains de son temps. Je pense que l’on peut faire le parallèle avec Platonov, l’oeuvre de jeunesse de Tchekhov où l’on voit bien qu’elle est écrite par un jeune écrivain très énergique capable de s’amuser avec toutes ses capacités mais où l’on voit aussi qu’il n’a pas encore la totale maîtrise du crayon, qu’il n’arrive pas encore à écrire le strict nécessaire, pas plus pas moins. Il y a un peu de ça chez Gorki. En même temps, pour un collectif de comédiens, c’est un texte qui a l’avantage d’être un vrai playground (une aire de jeu, une cour de récréation) c’est-à-dire que l’on peut attaquer le texte, l’agencer en fonction des besoins du groupe. Et parfois, en adaptant ne serait-ce qu’un tout petit peu, tout redevient pertinent. J’ai en tête l’exemple du discours d’une médecin qui parle du rapport des intellectuels aux classes ouvrières, très spécifique au moment où elle s’exprime puisque Les Estivants est écrit au moment de l’avènement de la bourgeoisie russe. C’est le début du siècle, c’est le développement intellectuel des classes moyennes. Aujourd’hui il y a évidemment plus d’intellectuels qui sont liés aux classes ouvrières. On garde donc quatre-vingt-dix pour cent du texte original et on adapte un peu le reste.


Le sous-texte des Estivants est insurrectionnel…


– Évidemment qu’il y a une dimension insurrectionnelle, comme toujours dans l’oeuvre de Gorki d’ailleurs. Les Estivants met en scène des gens issus de la classe moyenne cultivée qui se retrouvent dans de petites datchas, des résidences secondaires dans la campagne russe. On les voit donc bavarder, se disputer, tomber amoureux. Ce sont de petites tranches de la vie de tous les jours. Bien sûr, Gorki utilise cette peinture de l’oisiveté pour critiquer une classe sociale donnée. Il dépeint des gens qui, selon lui, gâchent leur potentiel en ne parvenant pas à penser la société. Le fil rouge de la pièce, c’est le personnage de Varia, une femme qui ne sait pas bien quoi faire dans la vie, qui a un sentiment inexplicable de tristesse et qui, au fur et à mesure, découvre dans quelle forme de prison elle se trouve. Elle essaie alors d’en échapper et de se couper de ces gens qui discutent dans le vide, sans profondeur. L’intention de Gorki à l’époque est claire : il faut encourager les classes moyennes à épouser l’idéologie révolutionnaire. Donc, dans cette pièce, il ne parle pas du tout des aristocrates mais des bourgeois, des intellectuels de classes moyennes, pour les inciter à se réveiller politiquement. On voit d’emblée les nombreux parallèles que l’on serait tenté de faire avec l’époque actuelle, comme avec bien d’autres époques aussi. Sauf qu’aujourd’hui, les résonances sont particulièrement vives, vu la crise planétaire que nous traversons et la mise en cause actuelle du néolibéralisme. Après, théâtralement, c’est aussi très stimulant d’arriver à montrer des gens qui ne font rien sans ennuyer le spectateur.


Gorki disait d’ailleurs à propos de sa pièce qu’elle était écrite pour « donner des rêves à l’âme »…


– Oui, voilà, elle a une fonction de réveil politique pour préparer la révolution à venir. Elle agit aussi sur un plan plus intime, comme un traité d’art de vivre, une sorte de réquisitoire contre le gaspillage de soi, pour empêcher de passer sa vie à boire de la vodka sur un canapé. L’âme de Varia, elle, se réveille. Elle se rend compte qu’elle n’est pas prise au sérieux, et va prendre sa vie en main. Ceci dit, je dirais que nous n’avons pas vraiment une approche psychanalytique de la pièce. Évidemment, comme nous sommes des comédiens curieux des différents aspects du spectacle, nous nous intéressons aussi à la dramaturgie et, en l’occurrence, à la vie politique du début du XXe siècle. C’est important de connaître l’histoire d’une pièce et l’histoire de la mise en scène d’une pièce pour ne pas réinventer l’eau chaude à chaque fois ! Je me souviens par exemple, de cette version particulièrement intéressante des Estivants créée par Luk Perceval, un metteur en scène majeur dans le paysage néerlandophone mais qui n’est pas encore très connu en France. Nous avons également visionné le film de Peter Stein, bien sûr.


tg STAN est un groupe extrêmement ouvert. Vous aimez inviter d’autres comédiens ou danseurs pour un ou plusieurs projets, vous partez facilement travailler avec d’autres collectifs d’acteurs. Disons que la rencontre entre artistes semble être pour vous le gage d’un renouvellement constant. Encore une fois avec Les Estivants, vous créez un groupe bien spécifique…


– Il y a trois générations présentes sur le plateau, par exemple Bert Haelvoet est un de nos anciens étudiants duquel nous sommes restés très proches. Robby Cleiren, lui, a déjà travaillé avec Jolente De Keersmaeker et moi sur Trahisons de Harold Pinter et il vient d’une compagnie de Flandres dont nous sommes assez familiers. Il y a aussi sur le projet une grande dame de Hollande qui s’appelle Marjon Brandsma qui vient souvent voir notre travail et réciproquement. C’est merveilleux de la voir aux côtés de toutes jeunes comédiennes, elle qui a un statut un peu « culte » ici. C’est un groupe très marrant et ça fonctionne très bien entre nous. C’est vrai que chacun de nos projets trouve aussi sa raison d’être dans le fait de réunir des gens aux parcours parfois très différents, porteurs de diverses aventures de théâtre, parfois aussi des danseurs de P.A.R.T.S., l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker avec qui nous collaborons beaucoup parce que c’est fantastique de travailler avec des gens plus jeunes que nous, d’une autre génération. Même en terme de production, ce genre de projet polyglotte est assez excitant puisque cela permet des collaborations entre différentes structures.


Lorsque vous avez créé tg STAN en 1989, vous veniez de vous opposer à cette suprématie du metteur en scène qui était très forte à l’époque. De quelle façon avez-vous vu évoluer le paysage théâtral depuis ? Beaucoup de jeunes collectifs français citent tg STAN comme une de leurs influences…


– Je voudrais préciser que l’on ne s’opposait à rien. On a voulu faire autrement et en faisant ce qu’on a fait – un collectif d’acteurs – on s’est visiblement opposé. Mais ce n’était en aucun cas une énergie négative, on n’avait pas l’intention d’attaquer une certaine façon de faire mais de faire ce qu’on avait envie de faire ! Après on a été un des facteurs qui a peut-être contribué à décomplexer des acteurs, à développer le théâtre dans ce sens (pas de quatrième mur, l’acteur au centre, etc.) mais nous aussi on a été les petits de quelqu’un ! On n’a rien inventé. Les artistes de Discordia, par exemple, nous ont beaucoup donné d’énergie ou un monsieur incontournable comme Jan Decorte a été fondamental pour les arts de la scène en Flandres.

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