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Les Derniers jours

mise en scène Jean-Michel Rabeux

: Tout le monde

par Jean-Michel Rabeux

Évidemment j’en parle, des Derniers jours. Qu’est-ce que tu prépares en ce moment? Oh un truc très rigolo qui raconte les derniers jours de mon meilleur ami. Les derniers jours de ton meilleur ami? Oui, j’étais là, chez lui, je raconte ça, sa mort, sa maladie. Dégénérescence cognitive, comme on dit maintenant.


Dégénérescence... En fait, c’est des mots de médecin, ça veut juste dire qu’il est mort fou, mon meilleur ami. Il était plus lui. Sauf que quand je le regardais, c’était bien lui que je voyais, que j’entendais, sa voix, son sourire en coin, son humour.Mais c’était plus lui, c’était plus personne.


Voilà le truc, très rigolo, pas du tout rigolo.


Pourtant, aux répétitions, on rigole, et beaucoup. C’est que la folie, l’approche de la mort, le mélange des deux dans les gestes quotidiens, les gens qu’on croise, les hostos, les lois, les règlements, tout ça entraîne tant d’absurdes quiproquos, de situations surréalistes, grotesques, qu’on rigole en les jouant. On passe notre temps à rigoler pendant ces répétitions-là. Enfin... pas que... Parfois on rigole moins.


Bref, quand j’ai commencé à en parler de ce travail-là, aux amis, aux spectateurs, un peu à tout le monde, je m’attendais à une réaction de rejet. Ah non, non, non, pas ça! Vous savez, cette réaction, dès qu’on parle de la mort.Je me disais, personne n’a envie d’être confronté à cette merde, quoi. Cachez cette mort que je ne saurais... Je m’attendais à ça, un rejet. Et en fait NON.


C’est pas du tout ça qui se passe quand j’en parle un peu à tout le monde, aux amis, aux pros de mon boulot, nos contacts avec le public, les travailleurs sociaux avec lesquels on est en lien, par exemple. C’est très frappant, je ne m’y attendais pas.


La première réaction, très souvent, c’est: je connais, oui, oui, je connais. Tout le monde semble avoir une histoire avec ça,une mort avec dégénérescence cognitive,parfois très proche. Une grand-mère, un père, une sœur, un parent quoi. Ou pire. Oui, du pire, il y en a. Un amant, une enfant, oui. Et tout le monde est là, avec les mêmes questions, bien lourdes. Comment on fait pour ne pas laisser vivre dans l’indignité la personne qu’on aime le plus? Comment ne pas la laisser dans sa merde comme un animal, un nourrisson, la personne dont on appréciait le plus la pensée?


Comment fait-on pour adoucir ces jours-là, qui peuvent être des années, avec la tête hors d’elle-même, mais avec le cœur, les poumons, tous les organes vitaux qui tiennent bon, hormis les organes de l’âme. Qu’est-ce qu’on fait quand il pleure, ton mari, ton ami, il pleure tout le temps, et tu ne comprends pas pourquoi, c’est à dire que tu comprends trop bien.


Comment on tue ce qui est déjà mort? Quand est-ce qu’on le fait, qu’on a le droit de le faire? Comment on sait qu’on a le droit de le faire? D’aller contre la loi pour le faire?


Tout le monde se les pose ces questions.


Voilà, je voulais vous dire ça: tout le monde est concerné par la mort! C’est un scoop non? Ce qui en est peut-être un, un scoop, c’est que la mort soit parlée de nouveau. A ma surprise. Les milliardaires de la Silicone Valley cherchent l’éternité avec détermination, scientifiquement. Ils veulent absolument que la mort n’existe plus du tout. Mais ça provoque l’inverse, en fait.


La médecine a tant éloigné la mort de nous, qu’à présent elle la rapproche. En permettant de maintenir vivants des morts, des âmes mortes, de faire vivre les corps si longtemps qu’ils peuvent contenir les cerveaux fous bien en vie pendant des années, en permettant que les hommes puissent vivre très longtemps en n’étant plus du tout vivants, en n’étant plus du tout des hommes, la médecine high-tech a remis la question de la mort en plein milieu du quotidien de tout le monde.


On vit plus vieux, mais à quel prix! Celui, pour tout un chacun, de devoir affronter les maladies qu’auparavant la mort nous évitait. La mort est de nouveau, autrement, au cœur de nos vies, comme elle l’était à l’évidence pour nos ancêtres qui mouraient aussi vite que des feuilles d’arbre. Mais eux avaient la vie éternelle comme remède. Il paraît que ce remède ne marche plus trop bien. Il paraît aussi qu’il revient en force.


Mon remède, à moi, et je vous le recommande chaudement, c’est de faire revivre les morts sur les plateaux. Ça marche.

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