: La Pièce
“Svetlana Alexievitch a osé violer un des derniers tabous : elle a démoli le
mythe de la guerre d‘Afghanistan, des guerriers libérateurs et, avant tout,
celui du soldat soviétique que la télévision montrait en train de planter des
pommiers dans les villages alors qu‘en réalité, il lançait des grenades dans
les maisons d‘argile où les femmes et les enfants étaient venus chercher
refuge.
Le premier extrait des Cercueils de zinc venait à peine de paraître, le
15 janvier 1990, dans le quotidien Komsomolskaïa Pravda, que Svetlana
recevait déjà une pluie de menaces. Qu‘avait-elle fait ? Elle avait privé les
jeunes gars revenus de la guerre de leur auréole d‘héroïsme, elle leur avait
ravi leur dernier refuge, la sympathie de leurs concitoyens. C‘était même
bien pire : ces garçons qui avaient été happés par le hachoir de la guerre,
qui avaient perdu leurs amis, leurs illusions, leur sommeil, leur santé,
qui étaient devenus incapables de se refaire une vie, ces gamins, souvent
estropiés physiquement, étaient devenus aux yeux de leur entourage, et
cela dès le premier extrait paru dans la presse, des violeurs, des assassins
et des brutes. Cette femme les envoyait de nouveau en première ligne en
les exposant au feu croisé des horreurs du passé et de l‘indifférence du
présent...
Svetlana souffre de la lâcheté de ceux qui, intimidés par leurs supérieurs
militaires, sont prêts à désavouer leurs propres témoignages. Mais elle
souffre davantage de ceux qui menacent non pas de la tuer elle, mais
d‘attenter à leurs propres jours ; ils lui hurlent au téléphone qu‘ils ne
peuvent plus vivre après son livre.”
Dimitri savttski
Septembre 1990 - Les Cercueils de zinc, Préface
Traduit du russe par Elisabeth Moumvieff
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