: Présentation
« Le paysage est une illusion d'optique délibérée.
A première vue, la scène ne représente rien d'autre qu'une salle de séjour avec un escalier qui
mène à l'étage. Il y a là une porte d'entrée, une fenêtre avec des barreaux et de lourds rideaux.
La pièce semble avoir été meublée par une personne aisée et sans ambition particulière de la
classe moyenne.
Cette pièce pourrait se trouver dans une maison de la banlieue résidentielle d'une grande ville
suédoise.
Mais cette maison se trouve en Afrique.
Le paysage africain, le bush, les plaines en feu ont déjà franchi le seuil de la maison. Le
miroir près de la porte reflète la lumière rouge du soleil couchant. Les coassements des
grenouilles et les soupirs de l'hippopotame sont à la fois à l'intérieur de la pièce et à
l'extérieur, près du lit d'une rivière invisible.
L'Afrique approche. Les termites grouillent, l'herbe à éléphant pousse entre les meubles.
L'espace scénique est une lutte entre éléments inconciliables, entre mensonge et vérité.
Les personnages principaux de cette pièce sont les Noirs.
Mais on ne les voit pas ».
HENNING MANKELL
Un couple vit ici. La quarantaine – à tous les sens du terme… – à la fois épuisée et énervée.
Lui, chef de chantier, travaille « dans l’humanitaire » : un organisme non gouvernemental lui
a confié (il y a 11 ans, 14 ans ?..) la tâche d’aménager 500 puits munis de pompes ; 200 ont
été forés, trois seulement fonctionnent…
C’est leur dernière soirée en Afrique. Ils attendent leur successeur, un autre Suédois, qui
n’arrive pas ; coups de fil à l’aéroport, on n’entend que des bruits d’agitation confuse…
En attendant, c’est l’heure des bilans navrés, des souvenirs blessants, des règlements de
compte affolés, entre eux deux, entre eux et cette Afrique qu’ils n’ont pas comprise. Ils
sermonnent leurs serviteurs noirs qui entrent et sortent mais restent invisibles : misérables
fantasmes.
Le successeur arrive enfin, en mauvais état : victime d’une échauffourée à l’aéroport ? Ou d’un félin qui passait par là ? Mais ce n’est pas grave, apparemment… Le trio ainsi
constitué va poursuivre sa dérive burlesque et cauchemardesque : coincés qu’ils sont entre le
geste humanitaire qui les a amenés là et la peur agressive d’une Afrique qui leur échappe
totalement. Ça va tourner au vinaigre, à la folie à trois, à la violence panique. Mais on finira
par aller dormir, et la vie continuera…
JEAN-PIERRE VINCENT
Notes du metteur en scène
L’Afrique comme fantasme.
Mankell est sans pitié pour ces petits blancs d’un nouveau genre, ni « colonialistes », ni
exploiteurs, seulement des techniciens loin de chez eux, dans la tourmente planétaire. Mais il
ne s’agit pas ici d’une pièce militante, ni d’une démonstration politique argumentée, d’une
fable à la Brecht ou à la Bond.
Mankell ne s’inscrit pas dans une histoire de l’écriture théâtrale récente. Il charrie la vie telle
qu’elle dérive. Il parle avec sa connaissance in vivo de l’Afrique, de l’étrange vie des blancs
en Afrique, avec sa liberté de romancier, et sa vision noire du monde d’aujourd’hui.
Nous sommes loin de l’Afrique, mais elle nous hante. Nous y pensons parfois (l’hécatombe
du SIDA, la désertification et la faim, les massacres ethniques…). Nous y envoyons des
techniciens charitables, des financements qui alimentent les corruptions. Mais de fait, nous ne
faisons rien, et cette culpabilité nous travaille, au fond : c’est elle qui produit ce cauchemar
grotesque, chez Mankell.
Ici, pas de « réalisme ». La pièce jaillit à l’aventure comme un fantasme délirant (« une
illusion d'optique délibérée », dit-il…), avec la liberté anarchique des enchaînements du rêve
(Bunuel), ses flottements absurdes (Bergman), son accumulation de catastrophes (Laurel et
Hardy, Woody Allen). Une danse de mort, pour revenir vers Strindberg, ou bien « Les
Boulingrin » de Courteline…
Une comédie (noire) onirique.
L’erreur serait de prendre cette histoire – si c’en est une – comme une tranche de vie
démonstrative.
Il faut du « réel », certes, sans quoi rien ne touche. Mais l’idée « d’illusion d’optique » est
essentielle. Tout ici serait faux, illogique, rêvé. Ces personnages rêvent… Ils ne sont peutêtre
même pas du tout en Afrique. Ce sont des blancs qui cauchemardent l’Afrique.
Alors, dans la pièce, tout peut trouver sa juste place : les incohérences bordéliques de
comportement, les trous de mémoire, la mystérieuse invisibilité des noirs, les absurdes et
continuels changements de costumes, les coq-à-l’âne, les crises violentes suivies de
réconciliations rassurantes…
JEAN-PIERRE VINCENT
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