theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Le Philosophe et la putain »

Le Philosophe et la putain

+ d'infos sur le texte de Jacques Rampal
mise en scène Elsa Royer

: Notes de mise en scène

Diogène, l’homme


« Moi, je serai toujours ce gêneur de Diogène
Qui, contre l'injustice aboie et morigène ! »


Diogène de Sinope est un célèbre philosophe de l’Antiquité grecque, appartenant à l’école cynique. Il est souvent représenté dans un tonneau lui servant d’habitation, ou tenant une lanterne à la main, délivrant son credo : « Je cherche un homme… »


Sa vie n’est connue que par des récits de témoins ou de disciples, mais elle est riche en anecdotes : ce personnage haut en couleurs a profondément marqué les athéniens de son temps… et les philosophes qui suivirent (d’Epictète à Michel Onfray, en passant par Nietzsche, Kierkegaard et Foucault). On lui a ainsi attribué la célèbre réplique « Ôte-toi de mon soleil » en réponse à Alexandre le Grand qui lui demandait ce qu’il voudrait… Adepte d’un ascétisme jouissif qui le faisait se comparer lui-même à un chien, il s’adonnait à la masturbation en public, nonobstant les convenances, et en concluait : « Ah, si on pouvait aussi faire disparaître la faim rien qu’en se frottant le ventre ! »


Il vécut dans le plus grand dénuement jusqu’à l’âge de 86 ans, ne s’en laissant compter par personne, pas même les plus grands. Il poussait sa liberté jusqu’à vouloir se détacher de tout sentiment. Il était sans conteste le personnage le plus subversif de son temps, et sa philosophie sans barrière continue à fasciner…


Diogène, la pièce


« Je suis Diogène de Sinope
Philosopheur et chien errant
Je n’ai qu’un œil et qu’une dent
Fils d’une chienne et d’un cyclope.
(…) Alors je vis dans l’indécence
Et si je ne bois que de l’eau
De la bonne eau de mon tonneau
C’est que je suis soûl de naissance ! » - Diogène.


Le personnage de la pièce de Jacques Rampal est en tous points conforme à cette légende peu banale : provocateur, espiègle, profond et flamboyant, ce Diogène n’a peur de rien ni personne… sauf de l’amour qui naît en lui pour la mystérieuse Hariola.


Mêlant vérité historique, anachronisme, philosophie, humour et mythologie, Jacques Rampal nous entraîne à deux époques de la vie de Diogène : peu avant la mort de son mentor Antisthène, fondateur de l’école cynique, qui ne voulait pas pour élève de cet indiscipliné chronique ; puis trente-sept ans plus tard, peu avant la mort de Diogène cette fois, lorsqu’il découvre en la prostituée Hariola, la déesse de l’amour Aphrodite… et qu’il avoue, comme une faiblesse, ses sentiments pour elle avant de s’éteindre, victime selon la légende des chiens auxquels il aimait tant se comparer.


La pièce voit défiler auprès du tonneau de Diogène une galerie de personnages truculents ou impressionnants : Platon et Antisthène, qui veulent faire revenir Diogène à des idées moins iconoclastes et se heurtent à un mur, Cratès (disciple de Diogène) et sa femme Hipparchia, délirant couple de débauchés sales et caustiques, et enfin Alexandre le Grand lui-même, qui a tout mais rêve d’être Diogène… Tout autour de ces personnages historiques, Hariola (Aphrodite déguisée) ajoute la touche de surnaturel, de fantaisie et d’ironie qui permet de mieux comprendre encore le caractère de Diogène, son contraire, amoureux malgré lui.


Et tous ces personnages flamboyants parlent en vers ! Non pas des vers pompeux et difficiles de manuels scolaires, mais ceux, à la fois simples, beaux, percutants et irrévérencieux que Jacques Rampal sait si bien manier depuis « Célimène et le Cardinal »… Des vers qui donnent envie d’écouter avec émerveillement, qui rendent évidente la philosophie, qui sont parfaitement contemporains, parfois coquins, et qui se muent en chansons.


Car ces grecs anciens chantent, et pas qu’un peu ! Diogène chante sa vision du monde, Hariola chante son amour et le plaisir d’être descendue de son Olympe, Cratès et Hipparchia chantent leur saleté délicieuse, et Diogène chante qu’il « cherche un homme »… C’est évident, nous ne sommes pas en pleine tragédie grecque, mais dans une comédie presque musicale, pétillante d’intelligence, prête à réconcilier les érudits et les moins lettrés par le biais de l’impertinence de l’infatigable Diogène…


Un spectacle joyeux et musical où la philosophie fait rire, réfléchir et rêver


« Je chante la vie sur la Terre
Car ne te fais pas de souci
On est bien plus heureux ici
Que dans l’Olympe légendaire. » - Hariola.


Dès la première lecture de la pièce, un feu d’artifice m’est apparu… Que ces personnages étaient attachants, comme ils disaient bien les choses, et comme l’ensemble était coloré et musical grâce au seul pouvoir des mots ! Je voudrais retranscrire sur scène cette jubilation originelle, qui dépoussière définitivement ce qu’on appelle l’Antiquité. Et quoi de mieux que de rendre avant tout ces couleurs et cette musique, dans une modernité qui nous est familière ?


Pour cela, la scénographie ne peut pas être austère : c’est un univers singulier et très visuel, issu de la bande-dessinée. Le port de Corinthe et le célèbre tonneau font ainsi partie d’une page graphique et stylisée, dans le style d’Hugo Pratt, qui ramène au présent sans toutefois dénaturer ce passé. Les deux actes, deux époques différentes de la vie de Diogène, se trouvent nettement différenciés par leurs couleurs, comme une page dessinée : premier acte dans les tons bleus (la mer, la jeunesse, l’air vif), deuxième acte dans les tons ocre et terre-de-sienne (comme le tonneau-amphore de Diogène, tout le monde vieillit et se craquèle…).


Et les vers, si gourmands, lorsqu’ils se changent en chansons, sont de véritables refrains qui restent en tête autant que les facéties de Diogène. Le compositeur Fabien Colella se charge de mettre quelques passages en musique, sans oublier pour autant qu’il s’agit avant tout de théâtre. Les chansons sont jouées, comme le reste du texte.


L’amour, au centre du texte (l’amour contre lequel lutte Diogène, l’amour des mots, la passion charnelle d’Hariola pour Alexandre, et sa passion amoureuse pour Diogène) est également au centre de la mise en scène. Il est là, concret, tangible, à travers le personnage de la déesse de l’amour, qui le révèle en chacun d’un effleurement, d’un regard… ou parfois plus.


Au temps de Diogène, la philosophie faisait partie de la société et on la recherchait avec avidité ; avec ce spectacle, j’aimerais qu’elle fasse rire, qu’elle fasse réfléchir, et qu’elle fasse rêver… Loin d’être austère, elle évolue dans un univers graphique, s’insinue dans des chansons, suit les gestes de l’amour, coule dans les vers modernisés, et déborde en éclats de rire.

Elsa Royer

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.