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Le Voyage en Uruguay

mise en scène Daniel San Pedro

: L'Histoire

Au début des années 1950, la famille Caorsi, riches éleveurs uruguayens, se rend en France pour y trouver des spécimens bovins susceptibles d’améliorer la capacité laitière de son troupeau. Son choix s’est arrêté sur la race normande, bien connue pour la richesse de son lait et la finesse de sa viande. Après avoir parcouru la Normandie du Cotentin au Pays de Caux, sans toujours recevoir un accueil des plus chaleureux, les Caorsi se rendent finalement à la Ferme Neuve, élevage réputé où l’on vient d’inaugurer une étable modèle et où l’on pratique les premières inséminations artificielles. Ici tout est à vendre, même les meilleurs reproducteurs. La discussion est brève et l’affaire vite conclue : trois taureaux et deux vaches quitteront les herbages clos de Beaumontel pour la pampa uruguayenne.


C’est là que l’histoire commence … Cette histoire que j’ai si souvent entendue étant enfant et que l’on m’a racontée comme on raconterait l’odyssée d’Ulysse ou le voyage de Magellan.


Après le départ des Caorsi, il est temps pour mon grand-père d’organiser l’acheminement des bêtes. Il charge son jeune cousin Philippe, âgé de vingt ans et dont les connaissances en géographie se bornent alors aux noms des villages du plateau du Neubourg, de les accompagner et de veiller sur elles jusqu’à leur arrivée en Amérique du Sud. Au petit matin, les trois taureaux, les deux vaches et leur jeune vacher, prennent le train en gare de Romilly-la-Puthenaye pour gagner le port de Rotterdam. Là, ils embarquent à bord d’un cargo sur le pont duquel les marins et le vacher ont installé tant bien que mal d’improbables baraquements qui tiendront lieu de stabulations aux bêtes durant la traversée. Bientôt le capitaine donne l’ordre de larguer les amarres. Sur le pont, Philippe, casquette vissée sur la tête et buste droit, regarde s’éloigner les docks avec l’inconsciente fierté d’un jeune soldat. Sur le quai, mon grand-père regarde partir ses vaches pour l’autre bout du monde.


En 1989, mon grand-père disparaissait, non sans m’avoir raconté une dernière fois "le voyage en Uruguay". Depuis longtemps, l’étable était vide. J’avais pris l’habitude d’y faire du vélo en slalomant entre les cases désertes : Navette, Kalipette, Nacelle, Framboise, Pirouette, Navaraise, Ratissoire … et puis Totem, Coriolan, Serpolet, Louvois … Je connaissais les noms par cœur. Je m’amusais à compter les veaux (qui n'étaient plus là depuis longtemps) au nombre d'anneaux sous la sous-elle.


Philippe est maintenant un vieux monsieur aux faux airs de Jean Gabin qui continue de me raconter "le voyage en Uruguay" lors de nos déjeuners dans la petite auberge de Tourouvre où il a ses habitudes. Il me raconte les larmes de sa mère sur le qui de la gare, le bateau, Robespierre et Osiris dormant dur le pont, les passagers éberlués, le vêlage en mer, le passage de l’Equateur, Recife et le goût de l’ananas pour la première fois, l’arrivée enfin ….


J’ai tout noté. Depuis des années. Je ne sais plus très bien ce qu’est la vérité. Je sais simplement que c’est une belle histoire intitulée Le Voyage en Uruguay.

Clément Hervieu-Léger

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