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Le Torticolis de la girafe

+ d'infos sur le texte de Carine Lacroix
mise en scène Justine Heynemann

: Entretien avec Justine Heynemann et Carine Lacroix

Êtes-vous d’accord sur une interprétation du titre Le Torticolis de la girafe ? que signifie-t-il pour vous ?


Justine Heynemann : Je lis deux interprétations possibles. D’abord, une girafe est immense, et son regard domine. Dans la jungle, elle porte un regard panoramique ! Et à force de regarder toutes les dérives et les contradictions possibles des êtres en proie à l’amour, à la sexualité, aux atermoiements amoureux, dans nos vies, et dans cette jungle qu’est être notre société ? , elle finit forcément par attraper un torticolis ! Ensuite, j’aime beaucoup la drôlerie de cette image d’une girafe qui se roulerait au sol, et rirait aux éclats jusqu’à attraper un torticolis !


Carine Lacroix : Ce torticolis est un pied de nez ! Un clin d’oeil à Elephant de Gus Van Sant ou La Pêche à la truite en Amérique de Richard Brautigan, dont les contenus sont sans aucun rapport avec les titres… J’aime cette ironie. Au-delà de ça, ça me plaît qu’un animal comme la girafe donne son nom à une pièce qui se compose d’une galerie de portraits humains. Des humains faibles et impuissants, perdus dans nos sociétés inhumaines. Ils ont des corps avec des problèmes physiques ou moraux réels. L’idée d’une girafe tordue est amusante, mais le torticolis est pénible, très douloureux. C’est cette association des deux, le rire et la souffrance, qui m’intéresse. Ce grincement.


Justine Heynemann : Ces personnages sont marginaux, décalés, souvent abandonnés ou perdus. Bien sûr, ils peuvent sembler douloureux, mais ils sont plongés dans des situations absurdes, surréalistes. C’est ce va et vient entre la fragilité certaine et les surprises de la pièce qui m’a séduite. Il est question tout du long d’instincts et de conventions entre des couples qui s’opposent et qui luttent…


Le Torticolis de la girafe est une pièce de rendez-vous manqués, de duos, de rencontres… Ce sont des solitudes qui cherchent à s’anéantir ?


Carine Lacroix : Il est question du manque, de la frustration et de l’impuissance à être ensemble. Ces personnages ne sont pas en-dehors de la société, ils sont dans une marge que la société aujourd’hui englobe parfaitement ! Ils sont la société elle-même parce qu’elle-même produit ce qui exclut ou handicape et a fortiori les mal foutus, les déformés du coeur, les bouffis de tics, d’obsessions… Le Torticolis de la girafe, c’est un enchevêtrement de saynètes d’individus en quêtes de rencontres. Ils veulent tous, hommes et femmes, se rencontrer. Sortir de la solitude. Il y a des moments plus légers que d’autres, plus drôles… Il y a un homme qui tombe enceinte ! Je crois qu’il n’existe pas d’animaux solitaires. Nous avons tous besoin de former des familles, des meutes anonymes, ou des couples. Ceux-là, instinctivement, s’acheminent vers la rencontre. C’est leur but, c’est leur vie.


Justine Heynemann : C’est avec les acteurs que nous organiserons la danse et les mouvements de ces personnages, de ces rencontres. Avec eux, nous inventerons le rythme, les surprises. Le texte appelle des mouvements, de la chorégraphie, des chansons, du son. Mais c’est bien le travail des répétitions qui répondra à tout cela. J’ai choisi de travailler avec des comédiens que je connaissais depuis longtemps, et avec qui je rêvais de travailler. Je voulais les confronter les uns aux autres car ils viennent tous d’écoles et de milieux différents. Ils ont des personnalités contrastées ! Je souhaitais solliciter des acteurs qui étaient a priori très enthousiastes à la lecture du texte. Je suis évidemment amoureuse d’eux, de cette alchimie des présences. Je n’ai voulu travailler qu’avec des comédiens engagés, impliqués, très volontaires.


Dans quel espace imaginiez-vous faire jouer Le Torticolis ?


Carine Lacroix : Dans d’autres pièces jusqu’ici, comme Burn baby burn par exemple, je tenais beaucoup au cadre, au lieu de l’action. L’espace était déterminant dans l’intrigue et le projet. Là, rien ! Je n’ai projeté aucun espace, aucun lieu. À peine une petite supérette... Il y a des suggestions, mais c’est un non lieu, pour une pièce de dialogues, de répliques. Et j’ai hâte et envie d’être surprise !


Justine Heynemann : Il y a beaucoup d’endroits différents dans cette pièce, qui est en réalité un souffle, une course-poursuite entre plusieurs personnes… L’espace doit permettre de faire exister ce souffle. Comment raconter cette histoire-là, ces échanges, dans des lieux très mobiles, simples, où les acteurs pourront évoluer librement, sans être contraints par un dispositif trop lourd ? Il faut inventer un mécanisme léger qui permette des changements d’espaces permanents, sans pénaliser les comédiens !
Je veux préserver la souplesse, la mobilité. Nous aurons sans doute des espaces abstraits, dont un petit supermarché un peu rétro, un parc... C’est une formidable pièce de jeu pour des espaces surréalistes.


Comment vous êtes-vous rencontrées ? Comment l’écriture et la mise en scène de la pièce sont-elles devenues pour vous évidentes ou impérieuses?


Justine Heynemann : C’était en 1995. J’ai rencontré Carine quand elle était comédienne. Nous faisions alors chacune un autre métier que celui qui nous réunit ici. Mais elle écrivait déjà, et je montais des pièces classiques. Nous avons beaucoup parlé, puis j’ai proposé à Carine, dans le cadre d’un festival d’écrire autour d’un thème que nous allions définir ensemble, avec trois autres auteurs. Carine a écrit une première scène du Torticolis, que j’ai beaucoup aimée. C’était drôle, incisif, libre. Plus tard, Carine a écrit la pièce entière que j’ai aussitôt adorée.


Carine Lacroix : C’était un travail de commande. J’avais pris la décision de m’amuser. Je voulais oublier les angoisses, oublier les décors trop lourds, écrire des échanges vifs, drôles. J’avais besoin de cette respiration... Mais les angoisses reviennent toujours, je ne peux pas écrire légèrement. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où nous ne sommes pas encore capables d’analyser les schémas monstrueux, les transformations, les progrès effrénés. Ces changements entraînent des métamorphoses dans nos relations aux autres, à l’autre, au temps, au monde. Ce n’est pas forcément négatif, mais c’est frénétique. Michel Serres défend l’idée qu’il faut laisser le temps aux jeunes, qu’ils vivent un cataclysme, car personne ne peut intégrer tous les changements que nous provoquons. J’avais envie avec ce Torticolis de mettre de la distance, de rire de nos pathétiques mouvements incessants, de nos impuissances à vivre simplement! Et de la frustration qui s’en suit. Les individus du Torticolis tentent de s’échapper, d’essayer autre chose, de quitter la solitude et leur incapacité à s’aimer ou à aimer. Ils essaient.


Justine Heynemann : Ces personnages sont perdus, mal foutus. Mais ils aspirent à un bonheur qui leur est propre, qui reste à la marge du bonheur formaté par la société, par la publicité ou les médias. La société sans cesse nous enseigne ce que doit être une bonne sexualité, une bonne conduite… Ces figures cherchent autrement, ailleurs, et parfois parviennent à ce qui est pour eux le bonheur, même si ce n’est pas le nôtre. La pièce porte un arrière champ profond, où il est question d’isolement, de solitude. Je le ressens. Chaque fois que l’on travaille, on découvre d’autres strates, d’autres dimensions. Et chaque échange, drôle ou sensuel, est extrêmement plaisant à jouer. L’un des comédiens, à la lecture, a même dit que la pièce lui donnait envie de tomber éperdument amoureux !

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