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Notre crâne comme accessoire

+ d'infos sur le texte de  Les Sans Cou
mise en scène Igor Mendjisky

: Note d'intention

« - …Est-ce bien le moment pour faire du théâtre ? On ne peut pas comparer un acteur et un boulanger.
Le boulanger, au moins, nous aide à nous nourrir et à survivre tandis que l’acteur…
- Peut-être que l’acteur nous montre pourquoi ça vaut la peine que l’homme se nourrisse et survive. »
Lioubomir Simovitch


LE THEATRE COMME RESISTANCE


A l’heure où certains de nos gouvernants semblent encore douter de l’utilité de la culture, il est, je crois, essentiel d’entendre le message de Lioubomir Simovitch.


Il nous montre comment le théâtre doit lutter autant contre l’incompréhension et les préjugés que contre l’oppression.


Cela fait maintenant sept ans que la découverte de ce texte, de cet auteur, voyage dans mon cerveau et dans notre envie commune de raconter le questionnement quotidien d’une troupe de théâtre, de notre troupe de théâtre Les Sans Cou. Nous existons depuis maintenant dix ans, nous avons monté des grands textes comme Hamlet de William Shakespeare, Rêves de Wajdi Mouawad, nous avons fabriqué comme des artisans trois créations collectives qui questionnaient notre place sur terre, notre identité, nous avons créé ensemble, vécu ensemble, aimé ensemble. Nous nous aboyons régulièrement dessus nos envies, nos rêves, nos frustrations, nos idées bleues, rouges, noires…


Monter un spectacle autour de ce texte de Lioubomir Simovitch s’est donc présenté à nous comme une sorte de continuité évidente.


Le Théâtre ambulant Chopalovitch est l’histoire d’une troupe de théâtre qui, dans une ville sous l’occupation de l’Allemagne nazie en 1941, débarque pour jouer Les Brigands de Schiller. Mais les habitants d’Oujitsé (en Serbie) sont dépassés par une réalité qui les maintient dans un état de terreur. Entre crimes et humiliations, dans ce contexte, quelle place pour le théâtre ? Le texte de Lioubomir Simovitch nous donne à voir comment l’espace de représentation et d’imaginaire pourrait nous donner les armes pour affronter le « déluge », même avec une épée en bois.


Notre idée est donc la suivante, nous voulons nous servir de la trame solide de Lioubomir Simovitch, raconter l’histoire de cette troupe en y intégrant notre théâtre et nos interrogations d’aujourd’hui. Nous voulons nous demander à quoi sert le théâtre à l’heure actuelle ? Si demain nous nous retrouvions opprimés, comment réagirions-nous ? Quel théâtre tenterionsnous de construire ? Quand la mort est au coin de la rue, le goût de chaque chose n’est plus le même, quel goût aurait notre théâtre ? Est-ce qu’il tenterait de changer le monde, car celui-ci en a besoin comme disait Brecht, ou serait-il un divertissement pour faire oublier la terreur ? Nous acteurs, auteurs, chanteurs, musiciens, acrobates, que ferions-nous ? À quoi sert l’art quand le monde tombe ? Charles Bukowski disait que lâcher sa machine à écrire c’est comme lâcher sa mitraillette, si nous étions en guerre, lâcherions-nous nos machines à écrire pour prendre des vraies mitraillettes ? Quand et comment l’acteur de théâtre devient-il acteur d’une société ?


Pour faire place à notre créativité et pour continuer à explorer notre méthode de travail et par conséquent l’improvisation comme outil d’écriture, la première chose que nous voulons changer dans le texte de Simovitch est la pièce répétée et jouée par la troupe. Ce ne sera donc pas Les Brigands de Schiller, mais un cabaret où tout est possible.


Le cabaret comme nous le fantasmons, c’est-à-dire comme tout sauf un cabaret classique, nous attire et nous fascine depuis longtemps car d’une part c’est un laboratoire de spectacle vivant (chants, danses, débats, acrobaties) et d’autre part parce qu’il permet d'abolir, pour un temps, les barrières sociales. Dans une salle de spectacle, nous sommes tous égaux, nous sommes tous libres. C’est un espace de vie furieuse, un endroit interlope et iconoclaste, où tout est possible. C’est pour nous le lieu idéal pour raconter notre théâtre ; pour être provocateurs, insolents, poétiques, assoiffés, impertinents, guerriers, délicats, méchants et purs ; pour faire remuer nos corps dans tous les sens et sans complexes ; pour chanter, danser, produire mille grimaces excessives et nous vêtir de misérables et royales parures. C’est un lieu idéal pour poser les questions qui nous agitent, qui nous mettent en mouvement dans un dialogue permanent avec le public.


Au fond, nous voulons à travers ce cabaret, cette histoire et ce spectacle raconter à quel point nous avons rencontré le théâtre et à quel point il nous apparaît comme une arme, peut-être désuète, de résistance contre la mort, la bêtise et la barbarie. Nous occupons la scène et le public comme certains occupent un pays, mais nous le faisons avec nos rêves, nos histoires intimes nous aimons faire rire et pleurer les gens avec nos secrets, magnifiés, tournés en dérision, attaqués ou transposés par le théâtre.


Depuis maintenant cinq ans, c’est cela notre méthode de travail ; nous nous armons jusqu’aux dents de nos trucs, sans crainte de mal faire, nous aimons prendre au sérieux nos idées et les démolir la minute d’après. Nous avons pour encore quelque temps avec nous cette effroyable et invincible immaturité, ou jeunesse, comme on voudra, en tout cas, cette arme : notre enfance préservée, nous voulons la confronter à une occupation possible et se demander si elle résiste.

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