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Tartuffe - Théorème

+ d'infos sur le texte de  Molière
mise en scène Macha Makeïeff

: Notes de travail le 17 novembre 2020

Par Macha Makeïeff

L’emprise et le désir


De toutes les pièces de Molière, Tartuffe est celle qui suscite une série d’émotions les plus singulières chez le spectateur. Au-delà de la dynamique d’une langue poétique, dans son rythme même, il y a dans Tartuffe tous les ingrédients d’un scénario de roman noir que je veux montrer, avec suspens et rebondissements propres à ce genre d’intrigue : enjeux d’une famille bourgeoise aussi névrosée que nocive, parasite infiltré dans la maison qui prend le pouvoir sur les esprits et les corps, libertins et faux-dévots, clans qui s’affrontent, spoliation, chantage, détournement, arrestation, espionnage, prédations, abus de faiblesse, dossiers compromettants, fuite et arrestation. Toute une affaire.


La résolution - l’intervention du Prince, n’a rien d’artificiel parce que l’intrigue est avant tout politique. Avec la force d’un conte, d’une parabole qui va virer au cauchemar d’une famille. C’est ce récit qui m’intéresse avec ses protagonistes à fleur de peau. Et dans ce huis-clos, la menace de celui qui est entré dans la maison dont on parle et qu’on ne voit pas, les allers et venues inquiétantes de gens qui traversent, transforment le confortable salon bourgeois plongé dans la pénombre et les sons étranges. Et la puissance malfaisante du discours inquisiteur s’infiltre.


Un scénario, des personnages


Une famille en crise : cet homme de 40 ans qui après un deuxième mariage trouve sa vie si vide qu’il devient comme fou d’un inconnu et dangereux aux siens. Une femme entre deux âges qui veut que son fils aime l’homme qu’elle s’offre à vénérer ; une belle intrigante émancipée et intrusive qui habite la maison et garde son mystère ; une mère défunte, deux enfants perdus trop avertis de l’égoïsme des adultes, déjà contaminés par la corruption de leur milieu, et qui se mettent en danger ; une jeune épouse délaissée qui cherche à tout prix l’expérience vitale de la sensualité, surprise par la puissance de son désir. Puis un prétendant, enfant gâté assez goujat et maladroit. Plus un dandy libre et libertin qui a ses entrées auprès du pouvoir et mène l’enquête. Puis des personnages muets, Laurent l’espion et Flipote la bonne, insaisissables et drôles ; un huissier borné, myope et sadique, un fonctionnaire de la police du Prince...


Tartuffe l’Envoyé


Manipulateur, imposteur ordinaire et charismatique, clown cynique, impulsif, il fait exploser les liens familiaux, divise, corrompt et révèle à chacun sa part obscure. Les armes de la séduction fascinent. La sincérité de cet hypocrite m’intrigue. Il interroge pour moi le mystère masculin et les lieux de la sincérité du séducteur, du prédateur. Dom Juan n’est jamais loin, le menteur, l’homme insatiable au bord du gouffre. Et quelle est cette fascination d’Orgon qui soumet à Tartuffe son vide, s’offre à lui et tous les siens et tous ses biens ? quelle sorte d’emprise exerce l’acteur inépuisable qu’est Tartuffe ? A quoi jouent-ils ensemble ? j’aime imaginer Orgon spolié, détruit, à genoux, ne pas renoncer à ce lien à Tartuffe, destructeur et magique, qui comble sa peur du vide.


Personnage pasolinien, Tartuffe est l’Envoyé. D’où vient-il et pourquoi ? Tartuffe n’opère pas pour son compte, il est un agent de la secte et sous son regard. C’est ainsi que je l’imagine.

  • Orgon — « Mon frère, vous seriez charmé de le connaître,
  • Et vos ravissements ne prendraient point de fin.
  • C’est un homme ... qui ... ha ... un homme ... un homme enfin. »

La secte


La secte est cet autre personnage furtif et agissant, qui impose ses rituels et fétichismes dans la maison et scande le scénario ; Tartuffe, lui, a sa feuille de route : prendre possession des lieux et des biens, chasser la famille. C’est sans compter avec l’inattendu désir, l’impatience d’Elmire qui pourrait bien le faire sortir de sa mission. Partout dans la maison, le son et la lumière exaspèrent le désir.


Tous dans l’histoire sont mus par des désirs contradictoires qui les perdent. Le désir féminin est infini, toujours contrarié ; les expériences se proposent comme autant d’impasses. L’ambivalence est partout, l’amour est en échec. Le Ciel est une arme.


Séduction, désir, pouvoir, prédation, menace font tanguer la mécanique bourgeoise. Ici, la dévoration d’une jeune génération par l’ancienne, la puissance des mots et de la morale dévastent les vies ; là, le consentement d’une femme face au prédateur se vit comme expérience fondatrice, comme ravage.

  • Tartuffe — « Vous n’avez seulement qu’à vous laisser conduire.
  • Contentez mon désir, et n’ayez point d’effroi. »

Péché, plaisir, désir, infamie, vertige


Qu’est-ce qui se joue et où est la vérité ?
Devant le spectacle de cette famille exaspérée qui perd pied, ce dispositif désir révélé-plaisir refusé, au final, c’est le public qui est démasqué dans son voyeurisme et sa jouissance trouble. Au-delà du bien et du mal, le scénario qui s’accomplit nous divise. Au théâtre où tout est jeu, où l’hypocrite est l’acteur virtuose, nous désirons voir la part malfaisante, assister au meurtre social, au naufrage, à la turpitude, et laisser monter l’inavouable en nous dans un plaisir intime et collectif, dans un éclat de rire protecteur. Où en sommes-nous ce soir du mensonge, des dangers et des plaisirs de la représentation ?

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