: Notes d'intention
par David Lescot
La première fois que j'ai entendu le nom de Ponzi, c'était dans la bouche de
Bernard Madoff, l'escroc qui possède sans doute le plus beau palmarès de tous les temps(50 Milliards de dollars détournés et 150 années de prison). "Mon système, c'était une Chaîne de Ponzi" disait Madoff. Alors je me suis renseigné sur Ponzi.
Charles Ponzi était un Italien immigré aux Etats‐Unis au début du XXème siècle, et
qui après 15 années de galères inimaginables, monta à Boston une escroquerie
financière, garantissant 50% d'intérêts en 45 jours, qui le rendit millionnaire pendant un an.
Surtout, à travers lui, c'est le siècle à venir qui se raconte, d'un point de vue qui n'est ni celui des utopies, ni celui des régimes politiques, ni celui des guerres, mais celui de l'argent. Ponzi ne croit en rien, sinon qu'il est destiné à faire de l'argent, ce qui est relativement vrai.
Après la crise de 2008 (les crises sont fatales aux escrocs, 2008 a fait tomber
Madoff), on se mit à parler plus que jamais de capitalisme sauvage, de moralisation des banques. Alors remontons à l'âge du far‐west financier, 1920, l'époque de Ponzi, figure tutélaire de Madoff et peut‐être aussi créature à l'image du système lui‐même, et engendrée par lui.
Durant l'aventure de Ponzi, on assiste à une crise financière diagnostiquée dans
des termes qui annoncent déjà celle qui aura lieu cent ans plus tard, un ouragan dévaste la Nouvelle‐Orléans, les devises européennes encaissent des dévaluations record... Hasard ou bégaiement de l'histoire ? Elément de comparaison en tout cas, non pour constater que tout est toujours identique, mais pour mesurer ce qui nous sépare de notre passé, et mieux nous voir à travers cette lentille‐là.
Je crois en un théâtre qui soit conscient de son histoire, et qui soit conscient de
l'Histoire. Et qui sache inventer les formes nouvelles propres à l'exprimer. Le Système de Ponzi n'est pas une reconstitution. C'est une pièce musicale, un opéra parlé, et pas seulement parlé, un récit épique qui convoque tous les moyens propices au récit. Du chœur jaillissent les personnages, une kyrielle, qui rejoignent à nouveau, le chœur, d'où jaillissent d'autres personnages. Seul moyen de couvrir un temps, un espace, une foule, une action si épique car si étendue.
J'ai fait appel pour ce projet à des acteurs musiciens (Charlie Nelson), chanteurs
(Elizabeth Mazev, Odja Llorca), caméléons, et à mon équipe (Scénographie Alwyne de
Dardel, Lumières Joël Hourbeigt, Costumes Sylvette Dequest, Accessoires Philippe
Binard) pour créer un espace et une esthétique de la dislocation et du réagencement
permanents. Un espace modulable, sans construction massive, fait d'éléments mobiles,
manipulés dans le temps de la représentation par les acteurs, qui se scinde, se défait et se réagence à vue, à l'image d'un monde‐champignon qui s'érige, s'écroule, renaît sans relâche.
La musique et la création sonore y tiendront comme dans toutes mes créations
précédentes (Basse et mixage : Clément Landais, saxophone et direction musicale Virgile Vaugelade), une part prépondérante, non pas accompagnement mais structure même du récit théâtral.
J'avoue que j'aime bien les escrocs. Ils sont nécessaires, comme les crocheteurs
au monde de la serrure. À travers eux, le système apparaît plus distinct. On peut
l'améliorer. Encore que je me soucie peu d'améliorer le système capitaliste. Mais les
escrocs, les usurpateurs, les affabulateurs, les charlatans réussissent bien au théâtre (Le
Menteur de Corneille, Le Révizor de Gogol, Le Baladin du monde occidental de Synge, et
même Peer Gynt d'Ibsen). Condamnons‐les (dans la vie), mais rendons‐leur grâce (sur la
scène) de savoir gripper la machine, d'introduire une brèche poétique dans le réel. Et
rappelons‐nous que le système de Ponzi, après tout, c'est le nôtre.
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