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Le Songe d'une nuit d'été

+ d'infos sur le texte de William Shakespeare traduit par Pascal Collin
mise en scène Yann-Joël Collin

: L'aveu de la représentation

Entretien avec Yann-Joël Collin

- Pourquoi mettre en scène Le Songe d'une nuit d'été ?


Le Songe - et en particulier les personnages des artisans - m'accompagne depuis très longtemps parce que c'est un vrai manifeste pour le théâtre. La nécessité de produire et en même temps de ne pas savoir fait que toutes les questions de théâtre sont posées : c'est ce que je retrouve avec les artisans. Différentes rencontres m'ont amené à ces personnages. Avec mes amis de l'école de Chaillot, j'ai exploré l'obsession que j'avais déjà de mettre en jeu le théâtre luimême pour que le plateau devienne vivant. Avant Chaillot, j'avais rencontré Didier-Georges Gabily qui partageait cette idée d'une écriture sur le plateau, de la création en train de se faire. Les textes qu'il a écrits pour nous, comme Violence, étaient destinés aux acteurs, comme si cela initiait chaque acteur à sa parole. Quand on travaillait sur le texte, on avait l'impression d'inventer, d'écrire notre propre langue. Le principe d'écriture était que le théâtre se construit au fur et à mesure sur le plateau.
De mon obsession de mettre le théâtre en représentation est né le premier projet de monter Homme pour homme et L'Enfant d'éléphant de Brecht, avec Cyril Bothorel, Christian Esnay, Éric Louis, Gilbert Marcantognini et Alexandra Scicluna. J'avais lu des écrits de Brecht qui disait à propos d'Homme pour homme : « Cette pièce-là, je l'ai écrite pour le théâtre. » L'intérêt, donc, d'ajouter L'Enfant d'éléphant (dans laquelle les protagonistes d'Homme pour homme jouent une pièce aux armées) était de révéler la manière dont les trois soldats vont se servir du théâtre pour transformer le brave Galy Gay en militaire sanguinaire. Je pense que Brecht faisait référence à la mise en théâtralité des artisans du Songe, notamment parce que l'on y retrouve des personnages tels que la Lune. Toute la pièce d'Homme pour homme parle de transformation : dans L'Enfant d'éléphant, Galy Gay, déjà devenu Jeraiah Jip, joue l'enfant d'éléphant ; la mise en abyme du jeu n'est là que pour révéler sa propre situation. C'est la même chose pour les artisans : qu'il s'agisse du Lion, du Mur ou de la Lune, on ne voit que leur situation d'acteur, et cela révèle encore plus leur humanité. Ils peuvent être cachés sous le masque, on verra alors encore plus ce qu'ils sont, leur être même. Cela me fait rire et cela me touche parce que l'on voit leur débauche d'humanité, cette tentative vaine de sortir de leur état.
Un stage de théâtre que j'ai conduit un peu plus tard avec Christian Esnay a été également déterminant dans cette réflexion. À cette occasion, j'ai voulu travailler sur ce que j'avais commencé à esquisser dans les deux pièces de Brecht, c'est-à-dire sur tous les personnages que l'on voit en train de fabriquer du théâtre : Les Acteurs de bonne foi de Marivaux, Treplev dans La Mouette de Tchekhov, et puis les artisans du Songe. J'ai voulu mettre les acteurs eux-mêmes dans la situation des artisans jouant Pyrame et Thisbé, car l'endroit de l'acteur doit être le même que celui des artisans. Au lieu d'être dans une démonstration de comment on invente, ils devaient réellement inventer et vivre la représentation en direct. Leur propre peur, leur propre inquiétude, leur volonté de s'appliquer à dire leur texte produisait l'humour et le décalage. Ils ont totalement improvisé devant le public et ils étaient toujours dans un moment vrai de la représentation car l'enjeu en devenait présent.
J'ai besoin au théâtre que le rapport au public soit direct, que l'on vienne me parler, donc je casse presque systétiquement le quatrième mur. La représentation est unique parce qu'elle se construit avec le public, qui a en permamanence conscience des personnages-acteurs. Et puisque ce vivre en direct m'intéressait, j'ai décliné régulièrement la situation des artisans du Songe, comme lors de La Nuit surprise par le jour, un impromptu commandé par le TNB, avec mon frère Pascal. Quatre personnes n'ayant jamais fait de théâtre de leur vie (en fait, des acteurs) devaient auditionner, répéter devant le public et jouer, comme si les gens assistaient à du « théâtre réalité ». Au milieu des répétitions, les acteurs choisissaient un spectateur pour jouer le personnage du père dans la pièce : c'était le public luimême qui se retrouvait à faire du théâtre.
Le Songe d'une nuit d'été fait partie de toute mon histoire de théâtre par son côté à la fois ludique et concret. C'est comme si tous les spectacles que je montais étaient à chaque fois une variation des artisans du Songe. Aussi l'invitation d'Olivier Py à monter cette pièce dans son entier était un peu une gageure.


- Pourquoi avoir demandé à Pascal Collin une nouvelle traduction ?


Le verbe est action, surtout chez Shakespeare où les métaphores ne sont pas là pour faire joli mais correspondent à un sentiment concret. Pour Henry IV, Pascal m'avait déjà proposé de traduire la pièce et je m'étais rendu compte à quel point c'était utile parce que sa traduction faisait constamment référence à la mise en jeu de l'action comme verbe. Pascal est avec nous dans un rapport très concret au plateau, c'est pourquoi j'ai voulu qu'il fasse cette nouvelle traduction du Songe directement liée à notre enjeu de théâtre. Si Shakespeare est un homme de son temps, alors la traduction ne doit pas avoir l'air datée mais se doit de rendre les mouvements de la langue, qui avait une violence, une percussion, une trivialité auxquelles le public était très réceptif. Car ce qui est intéressant, ce n'est pas l'histoire, c'est comment on en parle.


- Les artisans sont-ils la quintessence du Songe ?


J'avais envie que tout Le Songe soit à l'unisson du jeu des artisans parce que quand on a commencé à travailler sur la traduction avec Pascal, j'ai réalisé à quel point la pièce était constamment un manifeste sur le théâtre. Les artisans nous permettent de lire le texte dans son entier. D'ailleurs on retrouve parfois des expressions de Pyrame et Thisbé dans la bouche d'autres personnages : l'extrême naïveté des amoureux est un aveu d'humanité. La situation des artisans est donc bien celle de tous les personnages du Songe. Tous avouent qu'ils font du théâtre, qu'ils sont en représentation. Ainsi tout peut advenir à chaque instant avec le public. Je souhaite que toute prise de parole, toute opposition soit neuve, aussi surprenante que l'arrivée d'un Mur ou celle d'un Lion. Tout devient possible.


Extrait du Songe d'une nuit d'été, traduction Pascal Collin (Editions Théâtrales)
Propos recueillis le 19 septembre 2008, par Gaëlle Mandrillon et Adrienne Petit

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