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Songes et métamorphoses

mise en scène Guillaume Vincent

: Le Songe d’une nuit d’été

Aborder Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, c’est presque envisager de monter trois pièces différentes. L’une aurait pour personnages principaux l’orgueilleuse Titania et le jaloux Obéron, la seconde évoquerait un quatuor amoureux pris au piège des jeux de l’amour et du hasard, et enfin la troisième verrait des artisans essayant bon an mal an de répéter Pyrame et Thisbé. Shakespeare réunit cependant les trois pièces durant le spectacle proposé par les artisans pour les noces de Thésée et Hippolyta ; aux trois premières s’ajoute donc une quatrième pièce…


En tant que metteur en scène, comment aborder ces hybridations hasardeuses ? Comment gérer « l’accord de ce désaccord » ? S’agirait-il de lisser les différences pour essayer d’arracher une unité volontairement mise à mal ? Pourquoi ne pas s’amuser plutôt à exalter ces différences en les abordant avec une telle schizophrénie qu’on pourrait donner l’illusion qu’il s’agit de trois pièces mises en scène par trois metteurs en scène différents ? C’est le pari que je voudrais faire avec ma mise en scène.


Titania et Obéron seront ainsi deux chanteuses (une des traditions fut de donner le rôle d’Obéron à une jeune femme). On s’éloigne de Shakespeare pour aborder les rivages du Songe de Britten. Il s’agira de composer ici une musique sous l’influence de Britten, avec Olivier Pasquet de l’IRCAM et Philippe Orivel, compositeur et instrumentiste, au clavecin notamment. Mini-opéra ou théâtre musical, les interprètes à la fois chanteuses et comédiennes seront à même de faire résonner le lyrisme de Shakespeare à travers les mélodies de Britten réarrangées et réorchestrées.


Pour le quatuor amoureux, jouer de manière plus traditionnelle avec ce qu’on appelle « le spectacle de sortie », en choisissant des gens très jeunes issus des écoles de théâtre. Souvent dans les ateliers de sortie, malgré la fragilité parfois, l’imperfection… on trouve des moments d’une rare intensité, peut-être parce que ces jeunes acteurs qui ne sont pas encore professionnels portent en eux une force et une vitalité que leur condition d’élèves exalte… En tout cas, certains peuvent être touchés par la grâce. Pour cette partie, je suis précisément à la recherche de cette grâce.


Enfin, pour les artisans, s’amuser à jouer avec les codes d’un théâtre d’improvisation comme le faisaient les acteurs italiens de jadis, ou comme un collectif d’aujourd’hui. À partir d’un canevas, celui des artisans du Songe.


Dans Le Songe d’une nuit d’été, les codes sont volontairement multiples, et cet improbable patchwork ne veut sans doute pas qu’on efface ses coutures.


Après avoir évoqué ce qui distingue ces parties, on peut aussi évoquer ce qui les unit, à commencer par Puck, qui est le seul personnage à passer d’une histoire à l’autre. Puck donc, mais aussi le fantastique et les métamorphoses. Celles d’Ovide sont un formidable bestiaire à fantasmes, on y trouve de tout et pour tous les goûts : de l’inceste, de la zoophilie, de l’homosexualité…


En plaçant sa pièce sous le patronage d’Ovide, Shakespeare nous met en garde : tout peut arriver. Bottom n’est-il pas changé en âne et Titania ne tombe-t-elle pas amoureuse de cet âne ? Empruntant à la mythologie latine mais aussi au folklore médiéval, Shakespeare aime à brouiller les pistes, et l’âne Bottom n’est pas le seul être étrange dans cette forêt, on trouve aussi des fées, des lutins… créatures qui hantent traditionnellement les forêts anglaises, notamment pendant cette si singulière nuit de mai. Shakespeare déploie son génie comique à travers ses intrigues et ses personnages, mais on peut aussi être effrayé par l’inouïe violence des rapports. On a mis longtemps en France à percer, sous le vernis précieux du langage de Marivaux, la formidable perversité des personnages ; il ne faudrait pas dans le cas du Songe que la féérie, les philtres d’amour et le merveilleux éclipsent le désastreux constat qu’il fait de l’amour. Il faudrait pouvoir entendre avec lucidité la violence de ce qu’on nous dit des rapports amoureux.


Thésée a conquis l’amour d’Hippolyta en lui faisant violence, « je t’ai courtisée à la force de mon épée », lui dit-il. Au moment où les noces approchent, il lui propose comme musique, une musique confuse faite d’aboiements et de cors de chasse. On est loin de l’engageante et joyeuse marche nuptiale composée par Mendelssohn dans sa version du Songe. Mais peut-être cette musique de meute doit-elle résonner comme une mise en garde à l’Amazone rebelle qu’a pu être Hippolyta ? En cas de fuite, les limiers se tiennent prêts.


Que réserve-t-on à Hermia si elle s’obstine à refuser celui qu’on lui destine ? La mort ou le couvent. Que dit Héléna à Démétrius qui la rejette ? « Plus vous me battez, plus je me couche à vos pieds. – Traitez-moi seulement comme votre épagneul : repoussez-moi, frappez-moi, – Méprisez-moi, abandonnez-moi… »
Obéron rappelle à la rebelle et impétueuse Titania qu’il est son seigneur (et donc son maître). Les sujets de dispute abordés lors de leur engueulade du début sont nombreux, ils se soupçonnent mutuellement d’être amoureux, lui d’Hippolyta, elle de Thésée. Titania refuse ses faveurs à Obéron, elle lui reproche son infidélité… Tout cela provoque des désordres climatiques : la rivière sort de son lit, le blé pourrit, les saisons n’ont plus lieu… Mais le principal sujet de la brouille, c’est ce « changeling boy » que Titania ne veut pas céder à Obéron. Jalousie encore… Sans oublier l’histoire que nous donnent à entendre les artisans au travers de Pyrame et Thisbé : deux amants séparés par un mur et une terrible méprise qui comme dans Roméo et Juliette va provoquer la mort des deux amants.


Thésée épouse comme convenu Hippolyta, la pièce finit bien et on voudrait croire à ce « happy end. » Les quatre amoureux se réconcilient et chacun trouve sa chacune ; mais ne doivent-ils pas leur apaisement à l’artifice d’un philtre d’amour ? Titania et Obéron bénissent les lits nuptiaux, mais à quand leur prochaine dispute ?


Dans ce monde instable une chose est sûre, il n’y pas d’amour heureux.
« Pardon, nous ferons mieux la prochaine fois. »

Guillaume Vincent

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