: Le Socle des Vertiges, un conte vécu, pas seulement écrit
Depuis bientôt dix ans, l’auteur, comédien, metteur en scène congolais Dieudionné Niangouna
travaille à l’écriture d’un roman qui a pris autant de temps pour trouver aujourd’hui sa
chute.
Le Congo des années rouges, héritage de la colonisation, puis l’arrivée de la démocratie
avec tout son tumulte, la sagacité, la maxime congolaise qui atteint son apogée, les trivialités
d’une société moderne en prise aux tendances sectaires et régionalistes, la montée des
séparatistes et le tribalisme qui trouvent par là une aubaine de donner dans une violence
suffisamment exploitée par des bandes politiques utilisant une formule aussi vieille que le
monde « diviser pour mieux régner », la création des milices privées, la division de la ville, les
guerres civiles, les réconciliations superficielles, les années blanches universitaires, le gouvernement
d’union national, l’inflation des tendances contemporaines, le retour aux questions :
« Qu’est ce qui s’est passé ? Comment va t-on s’en sortir ? ». Et pour apostropher Aimé Césaire
dans Cahier d’un retour au pays natal, « Qui et quels nous sommes? Admirable question ! À force de regarder les arbres je suis devenu un arbre et mes longs pieds d’arbre ont
creusé dans le sol de larges sacs à venin de hautes villes d’ossements, à force de penser au
Congo je suis devenu un Congo bruissant de forêt et de fleuves où le fouet claque comme
un grand étendard, l’étendard du prophète où l’eau fait Likouala-Likouala… ».
Mais comment se raconte tout cela sur la feuille lisible du lecteur ? Il y a une fable, bien entendu. Et c’est cette fable qui retrace ce qui est évoqué ci-dessus à travers des personnages en situation conflictuelle dans leur rapport au temps, aux attentes, aux influences, à l’autre finalement. La question philosophique et politique est comprise dans cette éventualité.
Le Socle des Vertiges est une fiction, une histoire racontée par deux frères dont un légitime et
un renégat (Fido et Roger) qui convoquent leur amour et leur fratrie. Leur espérance est
éprouvée par un cri qui assiste à la déchirure du tissu familial, le leur.
Emprisonnés dans les quartiers les plus ignorés de Brazzaville (Crâneurs et Mouléké), où même
l’arrivée de la civilisation a su marquer son doute ; et la modernité pour un cauchemar. Le Socle des Vertiges pose le problème du territoire et de l’appartenance à une société où
l’identité est affaire de culture actuelle. Nos deux protagonistes partent de la mort de leur
père (Joachim), pour remonter l’amour de Diane, qu’ils se sont choisi d’aimer, en passant par
la mafia du secteur, l’enclavement de la zone, jusqu’à faire entendre le silence de leur mère
Jane qui révèlera bien tardivement le secret de leur naissance. Fido et Roger arrivent à secouer
la charpente de leur condition humaine, en faisant parler tout un monde, personnages
comme mouvement, pour libérer le noeud d’une haine longtemps étouffée, d’une incompréhension
à laquelle l’histoire les a coincés. Une incapacité d’avancer autrement que
par ce cercle des vertiges qui les habite et les fait tourner en rond. Sans répit se prononce à
chaque mouvement, un cyclone en spirale qui s’ébranle de violence en violence et finit par
faire disparaître sans laisser le temps de se poser la moindre question. Nos deux protagonistes
se donnent le défit d’arrêter, de saisir en pleine voltige, le socle qui fait tourner la manivelle
de l’éternel recommencement.
Ceci est une narration, comme dans une fable, mais sans rose ni beau jour, avec beaucoup de bière et de rumba éjectées des bars pour enflammer la cité, seul témoignage de notre brave manière de fêter la vie. Ceci est une histoire avec beaucoup de violence, d’humour noir, de hargne et de colère, un langage châtié, charcuté, ordurier et rien de la bonne morale n’est mise sur la palette. Ceci est une histoire avec une fenêtre ouverte par laquelle plein de choses peuvent rentrer, politique, famille, religion, amour, filiation, trahison, amitié, et ne jamais sortir car c’est bien plus un attrape-nigaud qu’autre chose. Bref, c’est une histoire comme une histoire des hommes, tous pigments compris. Une humanité et non une sorte d’humanité, un conduit qui sans cesse invente la tension dramatique pour tenir le dénouement au collet.
« Car notre quête n’est plus de cuivres ni d’or vierge, n’est plus de houilles ni de naphtes, mais comme aux bouges de la vie le germe même sous sa crosse, et comme aux antres du voyant le timbre même sous l’éclair, nous cherchons, dans l’amande et l’ovule et le noyau d’espèces nouvelles, au foyer de la force l’étincelle même de son cri!... ».
Vents - Saint-John Perse
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