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Le Silence des Communistes

mise en scène Jean-Pierre Vincent

: Entretien avec Jean-Pierre Vincent

Politique et utopies, un questionnement intime à trois voix

Dans un effort de profonde lucidité pour expliquer la déshérence de leur parti politique, trois exmilitants du Parti Communiste italien esquissent une réflexion sur l’état du monde à la lueur de leur passé exaltant. Les espoirs, les blessures et les réussites, les rouages des systèmes communistes et capitalistes… Jean-Pierre Vincent nous fait entendre une pensée toujours en mouvement, une parole intime et libre sur le passé qui nous amène avec beaucoup d’émotion aux questions de société débattues par la gauche européenne aujourd’hui.
Un passionnant dialogue à trois voix s’adressant à toute conscience en alerte, une tentative de reformuler un discours politique noble, honnête et franc s’ouvrant, aussi, au rêve et à l’utopie.


« Le silence des Communistes » nous parle de la solitude politique de chacun, de nos rêves éveillés et solitaires, de la sincérité d’un questionnement personnel sur un monde qui apparait de plus en plus complexe…


Effectivement, c’est notre destin d’êtres humains, depuis toujours. Réfléchissez : nous sommes inexorablement seuls et obligatoirement ensemble. Et c’est à cet endroit précis que se place le théâtre, comme la politique et la philosophie d’ailleurs, entre solitude et être ensemble, dans le rapport privé/public. Ce spectacle s’adresse aux sujets politiques que nous sommes, à l’individu et sa solitude politique. C’est ce qu’Edward Bond dit de son théâtre, par différence avec Brecht.
Cette correspondance entre nos trois amis italiens est exemplaire. Dix années après la chute du Mur de Berlin, Vittorio Foa, syndicaliste et socialiste proche du Parti Communiste Italien prend sa plus belle plume (à 80 ans !) et propose aux deux ex-communistes (des jeunes de 75 ans) que sont Miriam Mafai et Alfredo Reichlin une série de questions sur l’étrange disparition du PCI. Les trois auteurs esquissent alors une réflexion sur le système communiste et capitaliste, sur les possibilités de constituer une nouvelle gauche en Italie dans un monde en perpétuelle évolution. A partir d’une enquête solitaire, leurs interrogations progressent dans leur tête ; un cheminement qui rend naturellement le jeu d’acteur tout à fait possible et passionnant, dans la mesure où nos trois comédiens, à chacune des représentations, se doivent d’être dans un état de découverte progressive de leurs pensées…


Pendant plusieurs décennies, le travail fut le principal moteur de socialisation tandis qu’aujourd’hui, nous assistons comme le constatent Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin à un bouleversement des relations sociales…


C’est exact, la place de l’individu dans le collectif a changé, au travail et en dehors ; la solitude est organisée au niveau planétaire par des groupes qui détiennent les clefs de la production et de la diffusion de la connaissance – via internet, portable et autres technologies de communication – contribuant ainsi à la transformation de la vie culturelle de chacun. On crée la solitude, puis on fait de l’argent avec… Cependant, Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin ne voient pas de fatalité absolue vis-à-vis de l’organisation mondiale de la solitude : l’important est de recréer un sens de la communauté, d’envisager de nouvelles manières de militer.


Vous-même, vous vous êtes défini comme marxiste anti-communiste… Pourquoi avoir fait le choix de vous pencher sur le contexte particulier du Parti Communiste Italien ?


J’ai une vieille histoire avec ce parti communiste-là, mais je n’ai jamais pu « coller » au PCF, à son ouvriérisme de plus en plus fermé. On pourrait en parler longtemps ; ce que je n’ai pas manqué de faire avec des communistes qui sont aussi mes amis…
A la fin des années 60, nous étions très attirés par tout ce que l’Italie produisait alors; Lucchino Visconti, Francesco Rosi, Pier Paolo Pasolini, Roberto Rossellini, et au théâtre Giorgio Strehler et compagnie… Cet univers italien représentait pour nous une véritable respiration, face à la tradition « littéraire » française et face à l’orthodoxie stalinienne régnante. Les années ont passé, et j’ai redécouvert ce « Silence… » en 2006, à Turin, dans la mise en scène de Luca Ronconi : cette différence d’intelligence, ce sens de la remise en question, cette sincérité audacieuse dans le questionnement dont témoignent les militants du PCI et qui fait souvent défaut chez leurs homologues français. Que cette finesse-là n’empêche pas les italiens d’être dans la mouise politique, c’est une autre paire de manches. Lorsque je regarde nos français, je ne vois souvent que des corps et des têtes en béton, raides devant l’Histoire : iI y a une sorte de paralysie en France, d’interdiction qui n’entame en rien la beauté de la vocation politique, sauf que cela ne sert plus à rien.


Miriam se dit n’avoir jamais été pacifiste mais « partisane de la Paix » et affirme à Vittorio que, selon Marx, la violence est le levier de l’Histoire. Partagez-vous cette même conviction ?


Cette question est extrêmement délicate. Il existe deux types de violence : l’une inévitable et absolument fondée, celle de la Résistance, par exemple, et encore faut-il qu’elle soit menée au nom de la refondation de la paix, et d’autre part la violence liée à l’idéologie selon laquelle le monde, pour son bien, ne peut se transformer sans elle. Les plus grandes boucheries ont commencé (et commencent encore) « pour le bien de l’humanité ». Cette violence-là, c’est clair, est le fait de la civilisation, et non d’un simple retour à la barbarie : la barbarie est parfois devant, et non derrière !


Ces échanges épistolaires placés sur le terrain des convictions intimes sont relativement éloignés de la matière théâtrale, puisqu’il s’agit de réflexions formulées « à distance », de fait en marge du dialogue. Comment avez-vous géré cette contrainte d’un point de vue scénographique ?


Cette forme primaire, voire primale de la « mise en espace » est une de mes pratiques de prédilection, vive, instinctive. J’ai d’ailleurs été le premier à l’explorer, pour « Théâtre ouvert », à Avignon en 1971 avec « Le Camp du drap d’or », une pièce de Rezvani. Et puis, écrire à quelqu’un, c’est s’adresser, et l’acteur depuis le plateau s’adresse à l’autre. Mon travail avec les comédiens réside ici uniquement sur les modalités de cette adresse. Dans sa solitude, Vittorio s’adresse à Miriam et Alfredo, puis Miriam et Alfredo à Vittorio. J’ai tenu à ce que le public puisse plonger dans les yeux de chaque acteur (« les fenêtres de l’âme », disait Shakespeare), sans pour autant être l’objet de leur adresse : car alors l’émouvante introspection des « personnages » deviendrait une leçon de politique. C’est un travail très vibratile, délicat…


Un travail nourri par la question du silence ?


Oui… c’est d’autant plus vrai que la première réalité au théâtre, c’est le silence et que tout le génie de l’auteur réside au fond dans la traduction d’un silence percé d’instants de paroles. Si vous lisez Shakespeare, Lagarce ou encore Molière ou Bond, vous y trouverez des espaces dans leur écriture théâtrale, en écho au silence que ces auteurs entendent, d’abord. Il faut penser aux heures de silence qui ont émaillé l’écriture de ces lettres qui ont l’air de couler de source.


Le contenu des propos échangés étant très riche, peut-être avez-vous souhaité apporter des priorités de lecture ?


Non, je n’ai jamais eu de parti pris de mise en scène, seul le texte s’impose à moi. Pour moi, chaque soirée se doit d’être une nouvelle aventure, fragile et balbutiante. Pour cela, il importe de sentir le mouvement de chaque acteur en train de pister ses propres pensées. Pour ne pas tomber dans l’apitoiement et éviter la posture naturaliste, j’ai choisi de présenter ces militants dans la force de leur âge, incarnés par des acteurs d’une quarantaine d’années, mais c’est bien l’écriture qui nous donne l’angle. D’ailleurs curieusement, depuis quelques mois, certaines idées du texte émergent dans les cercles politiques en quête de solution à nos problèmes, alors quasi-inexistantes lors de l’élection présidentielle, comme la nécessité de concevoir une nouvelle pensée ou de donner vie à des concepts politiques adaptés à notre temps, et non à l’ancien monde.


Vous semblez avoir le goût pour la vérité et pour l’histoire, si l’on regarde votre exploration de l’Histoire de France au travers de Germinal, Vichy fictions, le Misanthrope, Le Palais de Justice…


Il est vrai que ces spectacles se sont inscrits dans une même démarche, construits à la suite de longs travaux préparatoires, de lectures, d’enquêtes de terrain. J’aime la vérité et l’historicité des choses, et regrette qu’elles ne constituent plus une priorité de société. Moi-même, content ou non, je suis enfant de Vercingétorix, de Robespierre et… de Pétain ! au même titre que le sont François Hollande et Nicolas Sarkozy. Sauf que, eux, semblent ne plus le savoir. Mai 68 a marqué une telle fracture que le passé profond pour beaucoup n’est plus nécessaire. Pourtant… « L’Ecole des Femmes » que nous venons de présenter au théâtre de l’Odéon nous apprend que le machisme sexiste, perversement lié à la religion intégriste (catholique, en l’occurrence) existait bel et bien à l’époque de Molière, et que notre Grand Classique s’en est préoccupé. Cette pièce de théâtre nous dit ainsi un peu qui nous sommes, d’où nous venons ; elle peut nous aider à penser où nous allons…


Interview réalisée par Anne-France Courvoisier
Responsable du journal d la Scène-nationale le Creusot

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