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Le Rouge éternel des coquelicots

mise en scène François Cervantes

: Historique du projet

Par François Cervantès

Catherine : L’année dernière, j’ai participé à un spectacle particulier. François Cervantes avait écrit un texte à partir d’une année de conversations avec Latifa Tir, qui tient un snack dans les quartiers nord de Marseille. C’était la première fois que je jouais un personnage qui existait dans la vie, une femme chez qui j’allais manger, avec qui je que parlais, que je voyais boire des cafés, fumer des cigarettes.
Le spectacle commençait par un film : Latifa fermait son snack et allait à pied jusqu’au théâtre: à ce moment là, j’entrais en scène, et une copie du snack arrivait du fond du plateau. Pour Latifa, son snack, c’est l’essentiel, c’est sa vie. On pourrait dire qu’elle habite son snack autant que son corps. Comme il allait être détruit bientôt, François le faisait venir sur le plateau du théâtre avant qu’il disparaisse.
Quand je jouais, elle était assise dans le public, au premier rang, je croisais son regard, j’entendais son rire(...)»


Cette aventure a commencé en 2013


Avec la complicité du théâtre du Merlan, Scène Nationale installée dans les quartiers Nord de Marseille.
Les gens l’appellent «leur gros voisin». Ils sont contents qu’il soit là, ce n’est pas pour eux mais c’est chez eux, ça prouve que les quartiers nord ne sont pas encore entièrement un ghetto, il y a encore des gens du centre ville qui passent la frontière pour venir voir des spectacles.


Les quartiers nord, c’est 1/3 de la ville, le record d’Europe des inégalités, 30% d’analphabétisme, des familles où on ne travaille plus depuis plusieurs générations, une plaque tournante de la drogue, des enfants de 12 ans qui remplissent le frigo sous les yeux fermés des parents, des femmes seules qui se battent jusqu’au bout du bout pour la survie, l’éducation, et, si possible, la réussite des enfants.
C’est aussi une solidarité jamais vue ailleurs, une langue inventée fruitée épicée, des fou rires, un carnaval du sang, des traditions mélangées, une culture en train de naître.
Les quartiers nord sont plus proches de New York que du centre ville, mais on se garde bien de le dire, et surtout de leur dire.
Les quartiers Nord, c’est le fond du panier, qu’on trouve au fond du magasin: tout est entassé et on ne sait pas ce que ça vaut. Il y a des personnages sans histoire, des paysans sans terre, des marins sans bateau, des chinois sans chine, des citoyens sans papier, des sages sans sagesse... Il y a des pensées qu’on ne veut pas penser, et des histoires qu’on ne veut pas raconter.


Donc au théâtre du Merlan je préparais un spectacle: «L’épopée du grand Nord»: deux années de rencontres et de discussions avec des habitants, deux années d’errance dans le quartier, à pied, en bus.
Il y avait une multitude de personnages, mais il n’y avait pas d’histoire.


Dans cette aventure, l’auteur n’était plus celui qui avait décidé une fois pour toutes du spectacle. Les personnages du texte étaient vivants, ils discutaient, ils négociaient.
(Emmanuel Levinas dit dans un de ses textes que l’inconvénient avec les livres, c’est qu’ils ne répondent pas aux questions qu’on leur pose)
C’est là que j’ai connu Latifa Tir, dans le quartier de la Busserine. Elle tient un snack en face du théâtre du Merlan. J’allais manger chez elle, et nous avons commencé à nous parler.
J’étais impressionné par la puissance de son amour pour sa famille, pour ce quartier, pour cette enfance qu’elle a vécue là.
Ces gens qui vivaient «dans du provisoire» ont connu des grands bonheurs, l’éternité de certains instants.


Latifa est d’origine Chaouïa, ses parents sont arrivés à Marseille dans les années cinquante, au début de la construction des quartiers Nord. Elle tire de son expérience un récit universel. Au-delà de sa vie, elle incarne le destin de sa tribu, de son quartier, de Marseille et des grands mouvements migratoires du 20ème siècle.A ses côtés, je me suis souvenu de cette phrase: le monument de Marseille, c’est son peuple.


A la fin de «l’épopée du grand nord», je suis allé la voir et je lui ai dit: je voudrais écrire un autre texte, sur ces quartiers, sur cette époque, à partir des conversations avec toi.
Ce texte était un hommage à cette femme et le récit d’une époque qui est en train de finir violemment, sans avoir été photographiée, filmée, racontée, alors qu’elle a été le signe précurseur du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.


Le spectacle, créé en novembre 2017 au Théâtre du Merlan, réunissait 15 personnes au plateau, habitants et comédiens professionnels.
Des liens forts se sont tissés entre Latifa et Catherine Germain qui «jouait» son rôle, comme si elles partageaient une façon d’habiter (le plateau ou le quartier), et de mettre en contact des mondes différents.


Après cette fête collective, j’ai eu envie d’adapter ce spectacle pour en faire un monologue de Latifa Tir: une parole qui se détache de son territoire et qui voyage dans l’espace.Latifa n’a jamais quitté Marseille.Par la parole je voudrais qu’elle voyage, qu’elle aille à la rencontre de ceux qui vivent ailleurs.Car «les quartiers Nord » sont partout.


Novembre 2018

François Cervantes

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