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Le Roi Lear

+ d'infos sur le texte de William Shakespeare traduit par Pascal Collin

: Note d'intention

Notre précédent spectacle se terminait par la mort de jeunes gens que l’on guillotinait pour leurs idées. Le Mariage de Figaro, La Vie de Galilée, La Mort de Danton, cette « trilogie des révolutions » que la compagnie a montée était traversée par une langue qui inscrivait jusqu’au vertige la poésie au coeur du politique et dans les intrigues, les concours de rhétorique, l’engrenage infernal des discours et des idées, le souffle d’un théâtre aux messages incisifs et percutants.

Le passage à Shakespeare, et particulièrement à cette pièce qui ne ressemble à aucune autre, qui fait moins appel à notre raison, qu’à notre capacité intime de nous étonner, est comme l’abandon total d’un théâtre des idées.


Aucun débat ne vient adoucir la loi de la jungle qui sévit dans Lear. Les personnages ne pensent à rien, ils sont la pensée même, ils n’agissent pas, ils sont précipités dans l’action, ils n’ont pas de plans, ils n’ont que des visions, ils ne calculent rien, ils improvisent, ils ne communiquent pas, ils s’apprivoisent ou se repoussent, ils ne défendent pas une position particulière, ils changent de place et d’identité en fonction de celles des autres. Des Atrides sans destin, des blocs d’instinct en fusion.


La langue, indissoluble dans la psychologie, n’est pas l’outil d’un combat mais le symptôme d’une pulsion. Aucune arrière-pensée ne vient contrarier la pureté du mouvement qui projette dans le verbe le corps tout entier. Chaque état contient son propre contraire, chaque situation son lot de paradoxes. Une seconde, un mot suffisent à changer l’amour démesuré en haine démesurée, les bâtards en légitimes, les légitimes en traîtres, l’orgueil en honte, le superflu en nécessité, l’aveuglement en révélation, la torture en délivrance, le mensonge en vérité, la tragédie en comédie.


Chaque pièce est une hypothèse sur le monde. Cette histoire hors du temps, hors de tout contexte, cette démonstration sans résultat, cette faillite d’explication du monde, cette mise en crise du théâtre est aujourd’hui l’hypothèse où nous avons choisi d’engager nos forces. Pour à nouveau entrer sur le plateau comme dans un laboratoire et y douter de tout, remettre l’humain en chantier et en faire jouer l’architecture. Pour repartir à la naissance de la parole, du mouvement, de l’acte poétique, et tenter d’en faire une expérience partagée.


Pour faire de l’écriture, un mouvement, de l’acteur, un écrivain, de chaque pièce, un poème choral où chacun puisse témoigner à la fois de sa place singulière et de l’ensemble dont il fait partie. Pour faire de l’acte de jouer, comme celui d’écrire, une tension vers la joie. Du souffle qui va élargir le poème au-delà du cadre, une respiration commune entre ceux qui regardent et qui écoutent et ceux qui agissent et qui parlent.


Tout cela que Shakespeare s’emploie constamment à mettre en jeu dans ce geste brutal, anarchique et généreux, cet opéra anthropologique, ce coup de poing gigantesque à l’inconscient. Où l’on voit comment l’être humain se bricole comme il peut entre sa nature et son corps social. Comme un acteur dont l’identité ne cesse de trahir le rôle.


Plus que jamais, avec le Roi Lear, le théâtre est le piège où Shakespeare attrape la conscience des hommes. Ces funambules en équilibre sur la frontière qui sépare ce qu’ils sont de ce qu’ils représentent.

Jean-François Sivadier

mars 2007

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