«Connaître l’histoire, les histoires, la vraie Histoire, à quoi cela sert-il ? Sinon à alerter les chaperons d’aujourd’hui, à avertir les enfants que la liberté de traverser le bois pour porter à sa mère-grand un pot de beurre et une galette n’est jamais définitivement acquise…» Ce mot de Jean-Claude Grumberg écrit à propos du Petit Chaperon Uf donne le ton. Sa version du célèbre conte en modifie la trame originale pour intégrer des thèmes qui lui sont chers : l’Histoire, l’Holocauste, la haine, la violence.

Interpellé par le caporal Wolf déguisé en loup, le Petit Chaperon apprend qu’il est Uf et découvre l’existence de lois arbitraires destinées aux gens de son «espèce» (obligation de porter du jaune à la place du rouge, interdiction d’utiliser certains aliments, de gagner de l’argent, de fumer...). Détournant certains épisodes (la mère-grand est hébergée clandestinement), le texte joue de la surprise suscitée par ces modifications traitées dans l’ensemble sur le mode humoristique.

La mise en scène très visuelle de Sylvie Orcier insiste sur le rapport de force qui a lieu entre Wolf et le Petit Chaperon Uf. Dans un décor fantastique qui rappelle autant la forêt du conte qu’une prison, une foule d’êtres hybrides tout droit sortis d’une bande-dessinée peuplent le plateau. Au milieu des masques, continuellement accompagnée par trois musiciens ajoutés par Sylvie Orcier, la confrontation entre les deux personnages principaux devient un jeu de dupes en faveur du loup. L’imagination débridée du Petit chaperon Uf n’aura pas raison de la sombre réalité incarnée par Wolf. Spectaculaire, déjantée, cette mise en scène renoue avec l’esprit du conte, support de nos angoisses les plus secrètes, d’enfant et d’adulte.