: De quoi est fait un être humain ?
Un homme décourageant de laideur se fait refaire le visage, acte désormais presque banal en
notre début de XXIe siècle… A un détail prêt : Lette, c’est son nom, ne s’était jamais aperçu de
sa laideur. Ce sont les autres qui la nomment. Ce sont les autres, également, qui lui diront sa
beauté après l’opération. Ce sont les autres, enfin, qui s’approprient à leur tour ce nouveau
visage, diluant Lette et son individualité en une multitude de reflets. Alors toute l’humanité se
fond en un seul visage.
De quoi est fait un être humain ? Qu’est-ce qui en nous est humain ? semble se demander
inlassablement Marius von Mayenburg au fil de ses pièces. Le Moche a des allures de fable
philosophique. C’est aussi un gigantesque éclat de rire, une formidable comédie toute entière
contenue dans une langue brillante, alerte. Le Moche est une pièce rapide, une comédie qui,
comme toute comédie qui se respecte, a l’élégance de poser des questions profondes sans
prétention. Sur fond de capitalisme et de solitude, l’écriture se déroule, les répliques fusent.
L’espace et le temps sont condensés. On passe d’un lieu à l’autre, d’un personnage à l’autre
comme sans y penser.
Cette pièce, je l’ai mise en espace pour les Mardis midi du Théâtre du Rond-Point et pour
Entrée Libre au Centre dramatique national des Alpes avant de décider de la monter. Je garde
de ce moment le sentiment d’une rencontre et de retrouvailles : rencontre avec un auteur, que
je n’hésiterai pas à qualifier de majeur, avec une écriture forte, solide, en laquelle on peut
avoir confiance. Retrouvailles avec un comédien, Frédéric Cherboeuf, qui joua avec moi
Richard II et Dom Juan, retrouvailles aussi avec l’aspect ludique du théâtre et un plaisir
simple, gratuit, celui de jouer. Ce plaisir, je crois qu’il sera à nouveau présent lors de la mise
en scène de la pièce. Il s’agira pour moi de retrouver la simplicité qui avait fait le succès de la
mise en espace, de garder cette vivacité, cette souplesse du texte sans rien alourdir. Les
comédiens seront en permanence présents sur le plateau, endossant les différents rôles sans
changer de costumes. La pièce se suffit à elle-même. C’est un rêve de légèreté. Il n’y a rien à
ajouter, rien à expliquer. Toutes les réponses semblent superflues.
Dans Le Moche, les événements se déroulent sans que Lette jamais ne se révolte vraiment. Il
y a quelque chose de Kafka dans cette aventure, dans ces événements qui s’enchaînent, ces
personnages qui changent de visage, à chaque fois ni tout à fait les mêmes ni tout à fait des
autres. La pièce est d’ailleurs publiée dans le même recueil aux éditions de L’Arche que Le Chien, la nuit, et le couteau du même Marius von Mayenburg, que je mettrai parallèlement en
scène et explicitement placée par l’auteur sous le parrainage de Kafka. On le sait, lorsque
Kafka lut pour la première fois La Métamorphose, son auditoire fut pris d’un énorme éclat de
rire. Je crois qu’il faut mettre en scène Le Moche comme on doit lire Kafka : sans se poser de
question. Le Moche est une comédie, Le Chien, la nuit et le couteau, un cauchemar. Très
différentes l’une de l’autre, les deux pièces mettent en scène un individu se cherchant parmi
les masques. Au bout du parcours, il y a l’humanité.
Jacques Osinski
janvier 2010
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