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Le Misanthrope

+ d'infos sur le texte de  Molière
mise en scène Thibault Perrenoud

: Esprit et forme

La fête


Petit monde où l'on se montre pour s'assurer d'exister, le lieu du Misanthrope est pour nous le lieu de la fête communautaire. La nôtre. Celle du théâtre ou du cinéma.


Dans ce cadre, traiter l'être mondain, la pensée mondaine, plutôt que la caricature d'un soi-disant paraître mondain qui nous protège et fait mine de ne pas nous concerner. Nous voulons être concernés. Que faisons-nous pour que l'on nous aime ? Que racontons-nous pour divertir les autres ? La scène des portraits et son humour cruel ne sont pas des disciplines réservées à Célimène ou aux petits marquis. Nous en connaissons tous certaines versions, qu'elles se passent lors des repas de famille ou des pots de première.


La pièce commence en même temps qu'une fête chez Célimène, une soirée qui devrait se passer dans les rires et la danse. Et elle se termine au petit jour alors qu'épuisés et blafards, rendus incohérents par la fatigue, les invités cherchent encore le courage de dénouer des situations ou d'avoir une dernière minute d'amusement. Entre temps, on a bu les bouteilles et sali les tables. Le maquillage a coulé lui aussi. La police est passée. Et les indésirables se sont invités eux aussi alors qu'on avait pris soin de ne rien leur dire. Il y a quelque chose de profondément raté dans le Misanthrope.


Le trash


Cette pièce peut contenir barbarie et subtilité, tragique et rire grossier, son tout naît de contrastes et plus ses contrastes existent, plus son tout est palpable, concret, vivant.


« Travailler Molière, c'est d'abord passer par une connaissance profonde de l'alexandrin. Parvenir à le respirer. À en faire sa voix. Et c'est ainsi que nous avons abordé le Misanthrope jusqu'à ce que nous rencontrions l'écueil de la langue vipérine de Célimène dans la scène des portraits et dans la lecture des billets. Elle nous faisait sourire, admirer la finesse de l'écriture. Mais rire non. Or nous voulions que ce soit une scène de fête éclatante, rugissante. Et que le public se mêle aux rires et aux fausses exclamations de pitié « Elle est dure, là, Célimène ». Nous avons décidé d'abandonner pour ces scènes la langue ciselée de Molière – la plus belle qui soit pour l'amour – et d'utiliser la nôtre, celle qui sait mieux salir et choquer. Le simple passage à la prose contemporaine est une plongée dans l'hideux après l'alexandrin.


Alors quand cette même prose sert à se moquer des absents parce qu'ils sont pauvres, timides, anorexiques ou stériles, la cruauté de la scène rejaillit de sa gangue historique et ressassée– la cruauté et la joie que l'on trouve en elle. Comme un chat jouerait de ses griffes sur une souris déjà prisonnière, Célimène attaque le monde qui l'entoure et retrouve dans la moquerie la sensation d'être vivante, libre, jeune et belle. Tout ce qu'Alceste lui dénie.»
Alice Zeniter, dramaturge


Le public


La particularité du travail tient à la place réservée au public.


Intégré dans la dramaturgie, chaque spectateur est considéré, non pas comme un spectateur, mais comme un partenaire plongé au coeur même du conflit et des questions soulevées. Dans cette fête qu'organise Célimène, nous sommes tous des invités, louvoyant entre notre position de voyeur et notre envie d'agir. Pris à parti par Alceste, les spectateurs demeurent les confidents de Philinte et d'Eliante, les complices de Célimène, les juges jugés : ils sont des « joueurs en puissance ».


Entre réel et fiction, tout au long de cet événement, ils sont les témoins obsédants de la souffrance d'un homme.
Ce dispositif questionne la possibilité de l'intimité – et de son respect – dans des conditions de promiscuité. Quelles sont les distances que nous observons dans nos contacts avec autrui ? Si je suis suffisamment prêt pour entendre une conversation, est-ce que cela veut dire que j'ai le droit de l'écouter ? Et celui qui vit sa crise dans un espace partagé avec d'autres ne s'offre-t-il pas délibérément en spectacle et a-t-il encore le droit de refuser que chacun lui apporte un avis ?


Nous instaurons donc un jeu avec le public au-delà de l'histoire mais toujours rattaché à celle-ci. Il ne vient pas simplement pour consommer, pour se délecter mais pour participer. Il est outragé, placé dans des situations qui peuvent être troublantes, gênantes, embarrassantes, inacceptables mais toujours prises à contre-pied par l'humour.
Sa condition traditionnelle de spectateur rangé lui est ôtée.
Responsable, il collabore entièrement et devient absolument nécessaire à toutes les étapes du devenir théâtral. Sans lui, la fiction ne peut se dérouler, l'espace se dessiner.


Toujours en contact, il peut se renseigner à tout moment sur l'état affectif de « tous ces bavards invétérés, ces bruyants causeurs, qui rendent la promiscuité admissible jusque dans le coude à coude et la rencontre des haleines. Dès que la conversation implique réserve et réflexion, le besoin se fait sentir d'une distance qui puisse neutraliser toute cette chaleur et cette moiteur animale ». Edward T. Hall


A nu, sans armes et sans défenses ce travail vise à s'affirmer dans sa toute réalité concrète.


Une scénographie éclatée et non contemplative


Tout ce que l'homme est et fait, est lié à l'expérience de l’espace.


Le dispositif évolue. Un seul espace matriciel contient tous les espaces : La propriété privée de Célimène (Fiction). Elle n'est autre que la propriété publique de nous tous, le territoire d'un groupe : le plateau du théâtre. (Réel). Nous ne sommes pas dans un quadri-frontal ou un bi-frontal habituel, nous sommes dans un espace anarchique qui offre la possibilité aux acteurs d'être dans des corps du quotidiens, détendus et libres. Éviter le corps « théâtral ». Les spectateurs peuvent les sentir dans leur dos, à côté d'eux, au milieu d'un de leurs groupes : aucun d'eux ne voit, ne vit, n'éprouve la même soirée. Faire en sorte que ce Misanthrope devienne un événement perçu différemment selon notre place géographique.


Quel que soit le lieu qui nous accueille, il lui sera rendu hommage par la volonté de l'investir et de le transfigurer. Un lieu de fête. Un lieu de convergence et un point de départ vers le monde, le désert ouvert aux quatre vents, qui fait voeu d'indifférence, « qui s'ouvre à la tendre indifférence du monde ».

Alice Zeniter, dramaturge

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