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Le Mariage de Figaro

+ d'infos sur le texte de  Beaumarchais
mise en scène Rémy Barché

: Aimer semble toujours se payer d’une manière ou d’une autre...

Si Bazile, dans Le Barbier de Séville, pouvait dire : « Posséder est peu de chose ; c’est jouir, qui rend heureux » ; dans Le Mariage de Figaro, jouir et posséder ne peuvent plus se penser l’un sans l’autre : la noblesse au seuil de la Révolution, gavée de privilèges, n’est plus capable que d’accroître toujours ses possessions pour espérer pouvoir jouir encore un peu, et libre de tous les abus, elle cherche à posséder la jouissance de l’autre parce qu’elle ne se satisfait plus de jouir de ce que l’elle a.


Cette course insatiable est celle du Comte Almaviva, inspirateur de « la plus badine des intrigues » ainsi que Beaumarchais résume sa pièce dans la préface : « Un grand seigneur espagnol, amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu’elle doit épouser, et la femme du seigneur réunissent pour faire échouer dans son dessein un maître absolu, que son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l’accomplir. Voilà tout, rien de plus. La pièce est sous vos yeux. »
Beaumarchais tait beaucoup d’intrigues qui viennent complexifier et densifier ce fi l principal, et c’est peu à peu un réseau de relations souterrainement tissé par la pulsion motrice de ce Mariage qui se développe : Eros tapi dans les moindres recoins du château « d’Aguas Frescas » agite ces eaux froides, et les mue en coulées de lave.


Si posséder et jouir font ménage chaotique dans Le Mariage, on y échange aussi beaucoup : des billets doux mais fermés par des épingles piquantes, des objets quotidiens qui se chargent d’une forte valeur érotique à mesure qu’ils passent de main en main ; des vêtements qui momentanément permettent de changer de classe sociale, de nom, de sexe ; des femmes qui deviennent des maîtresses et des maris qui croyant tromper sont trompés en retour ; et de l’argent bien sûr, avant tout, comme toujours. La rapidité des échanges et les mutations opérées en cours de route sur la nature de ce qui est échangé créent une nouvelle économie libidinale, dangereuse parce qu’elle déforme les identités et joue constamment sur les mots et les noms, ne sachant plus toujours s’il faut inclure ou exclure : la scène centrale de la pièce, au moment du procès, doit déterminer s’il est écrit dans un papier et ou bien ou, si Figaro doit rembourser et/ou épouser Marceline. Aimer, dans Le Mariage, semble toujours se payer d’une manière ou d’une autre.


Seul Chérubin, le page de la cour, semble échapper à ce système. L’ange à peine éclos de l’adolescence, plein d’un désir fougueux à l’objet mouvant, rosissant devant la Comtesse, farceur et badin avec Suzanne, ou carrément effronté avec Fanchette, un jeune homme que Beaumarchais demande à faire jouer par une femme, elle-même travestie en femme pour les besoins de l’intrigue, et qui finira par brandir son épée comme on ferait son premier pas d’homme. Il est la force érotique de la pièce avec toute la gratuité et la légèreté que la naissance du désir lui insuffle.


Tantôt en habit de chasse, tantôt à figure d’ange, Eros circule masqué dans cette petite société pré-révolutionnaire et en révèle les dérèglements les plus profonds. La forme dramatique elle-même en est le symptôme : complexité de la structure, éclatement de l’intrigue en péripéties et en lieux multiples, troubles du rythme entre emballements soudains, essoufflements ou pauses prolongées. Le coeur bat mal dans Le Mariage mais il bat de toute la force d’un monde agonisant qui continue à vivre malgré l’imminence de la castastrophe.

Adèle Chaniolleau

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