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Le Malade imaginaire

+ d'infos sur le texte de  Molière
mise en scène Jean-Luc Lagarce

: On se coucherait pour toujours,...

par Jean-Luc Lagarce

  • (…) Il y a un radiologue dans l’immeuble à côté de chez moi. Il vient d’acheter une machine d’un million de dollars, ils ont dû démolir un mur pour la faire rentrer. Je me demande si le radium peut arriver jusque chez moi. Nous partageons le même chauffage à vapeur. Tout le monde dit que ces machines sont infaillibles. Ben voyons ! et l’Ambassade de Pologne à côté, maintenant ils en veulent quatre millions de dollars. J’aurais dû acheter quand ils n’en demandaient qu’un million trois.
  • Andy Warhol, Journal, jeudi 11 avril 1985.
  • Au théâtre, tout est suspect, sauf le corps.
  • Louis Jouvet.

On se coucherait pour toujours, on dirait qu'on est malade.
On serait comme un enfant perdu, un vieil enfant redevenu petit.
Plus jamais on ne sortirait. Que nous importe le Monde! On resterait dans le lit, au chaud, dans la douceur des draps, on ne serait plus obligé à rien, on pourrait se soustraire à ses devoirs, rien ne nous obligera, on aura tous les droits. On se ferait câliner, on pourrait pleurer sur soi-même à nouveau, on ne sera plus jamais responsable, on sera plus enfant que ses propres enfants, on pourrait même s'en débarrasser, les mettre au couvent ou les vendre pour essais anatomique à la Faculté des Sciences - on pourra jouer à des jeux imbéciles, être peu à peu comme un bébé idiot, être l'enfant désespéré de sa propre épouse, être le cadet perdu d'un grand frère sérieux, avoir des exigences, faire des caprices.
On ne sera plus qu'un corps peu à peu. Ce sera bien. Un corps un peu lourd au milieu du Monde, au milieu de la maison, un corps échoué là, à ne plus vouloir bouger vraiment, à attendre.
Un corps que les autres devront nourrir, laver, porter, retourner. Un corps qu'on doit remplir et vider. Un corps plein de sang, de bile, d'humeurs et de merde, un corps un peu effrayant peu à peu qu'il faut faire manger et faire chier, un corps qui sent mauvais et qui encombre l'espace.
Un corps autour duquel on doit tourner, un corps qui dévore tout, qui empêche les autres de vivre, qui les engloutit, les dévore et les noie, un corps égoïste et monstrueux qui nie l'existence des autres corps, qui ne parle que de lui.
On attendra la Mort. On retournera à l'état d'avant la Naissance.
On ne veut rien d'autre que le soin des autres, on ne donne plus rien, on exige tout. On a peur aussi - à trop jouer on se perd à son propre jeu, on se laisse engloutir dans sa propre imagination- on a peur de cette lente et douce descente vers la douceur extrême, la mollesse et l'abandon.
On s'effraie de ce bien-être qui vous prend, de cette faiblesse si paisible. Le plaisir à se regarder mourir sans souffrance. S'aimer soi-même et flotter peu à peu entre le rêve et la réalité, être épuisé et heureux de disparaître, ne plus rien sentit, ne plus rien éprouver. Délirer un peu, avoir peur parfois, voir des fantômes, des vampires, donner sa fille à un médecin disséqueur de jeunes femmes, battre les enfants, confondre sa bonne avec un vieillard, se faire couper un bras, arracher un oeil, faire le mort, être mort vraiment.
Disparaître. Rester seul, avec juste, s'éloignant, de plus en plus lointaine, la voix de la sagesse qui tenterait de vous maintenir en vie, de vous garder en conscience. Rester seul enfin, médecin de ses propres douleurs, être bien sans personne, n'avoir jamais de comptes à rendre, être bien, oui, comme avant de naître, comme après mourir, pareil.


  • Jean-Luc Lagarce, note d'intention pour sa mise en scène du Malade imaginaire, 1992 © Les Solitaires Intempestifs, in Mes projets de mises en scène, 2014
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