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Le Grenier

+ d'infos sur le texte de Yôji Sakate traduit par Corinne Atlan
mise en scène Jacques Osinski

: Le grenier de l’adolescence

L’adolescent cesse donc de jouer, il renonce apparemment au gain de plaisir qu’il tirait du jeu. Mais quiconque connaît la vie psychique de l’homme, sait que presque rien ne lui est aussi difficile que de renoncer à un plaisir qu’il a une fois connu. A vrai dire, nous ne pouvons renoncer à rien, nous ne faisons que remplacer une chose par une autre ; ce qui paraît être un renoncement est en réalité une formation substitutive ou un succédané. De même, l’adolescent, quand il cesse de jouer, n’abandonne rien d’autre que l’étayage sur des objets réels ; au lieu de jouer, maintenant, il se livre à sa fantaisie. Il se construit des châteaux en Espagne, il crée ce qu’on appelle des rêves diurnes. Je crois que la plupart des hommes, en certaines périodes de leur vie, forgent des fantaisies. C’est là un fait qu’on a pendant longtemps ignoré, et dont on a, pour cette raison, sous-estimé l’importance.


La fantaisie des hommes est moins facile à observer que le jeu des enfants. L’enfant, il est vrai, joue aussi tout seul, ou bien il constitue avec d’autres enfants un système psychique clos à des fins ludiques, mais même s’il ne joue rien pour les adultes, il ne leur cache pas pour autant son jeu. En revanche, l’adulte a honte de ses fantaisies et les dissimule aux autres, il les cultive comme sa vie intime la plus personnelle ; en règle générale, il préférerait confesser ses manquements plutôt que de communiquer ses fantaisies. Il peut arriver que pour cette raison, il se croie le seul à forger de telles fantaisies, et qu’il ne pressente rien de la diffusion universelle de créations tout à fait analogues chez d’autres. Cette différence de comportement entre celui qui joue et celui qui se livre à sa fantaisie a son fondement dans les motifs des deux activités dont l’une ne fait pourtant que continuer l’autre.


Le jeu de l’enfant était guidé par des désirs, proprement par le désir qui aide à éduquer l’enfant : le désir d’être grand et adulte. Il joue à « être grand », il imite dans ses jeux ce qu’il a appris de la vie des grands. Il n’a en effet aucune raison de cacher ce désir. Il en va autrement de l’adulte ; celui-ci sait d’une part qu’on attend de lui qu’il ne joue plus ou ne se livre plus à sa fantaisie, mais qu’il agisse dans le monde réel, et d’autre part, parmi les désirs qui produisent ses fantaisies, il y en a beaucoup qu’il est tout simplement impératif de cacher ; c’est pourquoi il a honte de sa fantaisie comme de quelque chose d’infantile et d’interdit.


Sigmund Freud
« Le créateur littéraire et la fantaisie » in L’inquiétante étrangeté et autres essais.
traduction de Bertrand Féron

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