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Le Funambule

+ d'infos sur le texte de Jean Genet
mise en scène Cédric Gourmelon

: Le contexte

Le funambule est écrit au printemps 1957, il est dédié à Abdallah Bentaga funambule et compagnon de Jean Genet, rencontré à la fin de l’année 1956. Ce texte, parmi quelques autres, symbolise un retour à la lumière et à l’écriture pour Genet, un changement de style. On ne peut que penser à la crise qu’il vient de traverser quelques années auparavant et durant laquelle il abandonna l’écriture, quand il explique à la fin du funambule : « c’est un des plus émouvants mystères que celui-là : après une période brillante, tout artiste aura traversé une désespérante contrée, risquant de perdre sa raison et sa maîtrise. S’il sort vainqueur… »


Ce texte s’inscrit donc clairement dans une seconde phase d’écriture pour Genet. La première se situe entre 1941 et 1950 et correspond aux romans (Notre-dame-des-fleurs, Le journal du voleur, Le miracle de la rose, Querelle de Brest…) et aux premières pièces (Les Bonnes et Haute Surveillance). La seconde, elle, se situe environ entre 1955 et 1961 et correspond aux textes dédiés à des artistes (Le funambule, Giacometti, Rembrandt...) et aux grandes pièces (Le Balcon, Les Nègres et Les Paravents).


Entre ces deux phases, Genet aura traversé une crise artistique et personnelle intense, que l’on fait souvent correspondre à la parution du livre de Jean-Paul Sartre : Saint-Genet, comédien et martyr. Un ouvrage impressionnant par l’érudition et la profondeur d’analyse dont fait preuve son auteur, qui au fil de ses 700 pages tente d’examiner à la loupe le cas Genet. Ce livre écrit par le plus célèbre philosophe de l’époque aurait alors tourmenté et complètement annihilé ce jeune écrivain, rapidement qualifié de génie par une partie du milieu littéraire de cette même époque.


Genet en évoquant la fin de cette période de dépression et de pages blanches écrit dans L’atelier d’Alberto Giacometti : « Il y a quatre ans environ, j’étais dans le train. En face de moi, dans le compartiment épouvantable un petit vieux était assis, sale, et, manifestement méchant, certaines de ses réflexions me le prouvèrent. Refusant de poursuivre avec lui une conversation sans bonheur, je voulus lire, mais, malgré moi, je regardais ce petit vieux : il était très laid. Son regard croisa, comme on dit, le mien, et, ce fut bref ou appuyé, je ne sais plus, mais je connus soudain le douloureux – oui douloureux – sentiment que n’importe quel homme en « valait » exactement n’importe quel autre. « N’importe qui, me dis-je, peut-être aimé par delà sa laideur, sa sottise ou sa méchanceté »… Et ce qui fait qu’un homme pouvait être aimé par-delà sa laideur ou sa méchanceté permettait précisément d’aimer celle-ci. Et plus loin il rajoute : « La recherche érotique, me disais-je, est possible seulement quand on suppose que chaque être a son individualité, qu’elle est irréductible et que la forme physique en rend compte et ne rend compte que d’elle ».


Je comprends cette histoire comme la nécessité pour lui de quitter un univers d’écriture dont il aurait fait le tour, centré sur lui, ses obsessions, la prison, les huis-clos chargés d’homo-érotisme… pour s’ouvrir à un nouveau stade d’écriture plus tourné vers le monde, vers les autres, la recherche d’une forme d’universalité.


C’est ce qui s’est d’ailleurs passé dans les faits, tous les textes de cette nouvelle phase connurent un succès immédiat à l’étranger, particulièrement ses trois grandes pièces, alors que ses romans conservèrent un public plus restreint – ce qui ne relativise en rien la qualité littéraire exceptionnelle de cette partie de son oeuvre.


Abdallah est l’inspirateur du funambule. C’est à lui que Genet s’adresse tout le long du texte. Il est resté plusieurs années son compagnon, même s’il eut une petite amie de passage tolérée par Genet, il resta dévoué à celui-ci jusqu’à sa mort. Quand ils se sont rencontrés Genet avait 46 ans et Abdallah 18. Il était garçon de piste dans un cirque tout en prenant déjà des cours d’acrobatie. Genet s’est lancé corps et âme dans l’entreprise, surprenante, pour son entourage, de faire d’Abdallah un grand funambule. Après que Genet l’ait encouragé à déserter l’armée au moment de son service obligatoire, ils ont ensemble quitté la France durant plusieurs années. Ils ont voyagé à travers l’Europe (le Danemark, la Suède, l’Allemagne, la Grèce, les Pays bas, la Belgique…) au gré des différents cirques où se trouvaient les meilleurs fildeféristes. Les cours particuliers pour Abdallah étaient payés par Genet. Il voulu aussi mettre au point le numéro, choisir les musiques, dessiner les costumes, tout en poursuivant son travail de dramaturge. Abdallah fut engagé par un cirque italien mais quelques mois après, lors d’une tournée au Koweït, il chuta. Irrémédiablement sa carrière dut s’arrêter. Ils vécurent ensemble encore quelques années puis se séparèrent en 1962. Genet continuait à distance d’entretenir Abdallah et sa mère, qui vivait dans des conditions très modestes. En 1964, Abdallah fut découvert mort dans son petit studio parisien. Il s’était tranché les veines après avoir ingéré une surdose de Nembutal, le même somnifère dont fut dépendant Genet toute sa vie. Appelé par une amie commune que la police avait contactée quelques minutes auparavant, Genet découvrit le corps d’Abdallah entouré de ses livres (ainsi que du fameux Saint Genet de Sartre) lus, relus, les pages écornées et soigneusement annotées - alors qu’Abdallah ne les avaient jamais ouverts pendant toutes les années partagées ensemble. A partir de cette date, et ce jusqu’à sa mort en 1986, Genet n’a plus écrit de fiction ou de théâtre. Ne se consacrant qu’à des éditos ou des essais souvent en lien avec ses engagements politiques.

Cédric Gourmelon

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