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Le Dragon d'or

mise en scène Claudia Stavisky

: « Comment raconter avec les moyens du théâtre ? »

Par Émilie Charlet, élève de l’ENS – Janvier 2011

Dans une interview accordée à la revue Theater Heute[1], Roland Schimmelpfennig revient sur les circonstances de l’écriture du Dragon d’or : un ami avocat lui a demandé d’imaginer une pièce dont le thème serait l’immigration illégale en Allemagne. Cette « commande » l’a d’abord conduit à s’intéresser au sort des détenus immigrés mais la diversité culturelle des prisonniers et la complexité des rapports humains en prison l’a détourné de cette voie tout en le questionnant sur les moyens de la pratique théâtrale :


« Diese Schwierigkeiten führten zu der entscheidenden Überlegung : Wie kann man als deutscher Theatermacher[2] diesem Thema gerecht werden ? Eine schwierige, aus meiner Sicht mit den normalen Theatermitteln so nicht zu lösende Aufgabe. »


« Ces difficultés (liées à la représentation sur un plateau de théâtre unique de la diversité culturelle des détenus immigrés) m’ont conduit à une réflexion décisive : Comment peut-on, en tant que dramaturge allemand, être à la hauteur d’un tel sujet ? Une mission difficile et selon moi, difficile à résoudre avec les moyens normaux du théâtre. »


Par « normalen Theatermitteln », Schimmelpfennig entend d’une part l’incarnation traditionnelle d’un personnage par un acteur, selon une perspective qu’il nomme luimême « naturaliste »[3] et d’autre part la construction dramatique fondée sur un point de vue englobant permettant le déroulement de la pièce selon un principe unificateur.


Ces deux aspects du théâtre dit traditionnel sont en effet remis en cause par la dramaturgie particulière déployée dans Le Dragon d’or : cinq acteurs prennent en charge dix-sept rôles dans une trame dramatique constituée de quarante-huit tableaux qui sont autant de points de vue sur une même action initiale. Influencé par la pratique cinématographique, Schimmelpfennig ne déploie pas une fable dramatique traditionnelle mais propose une structure de jeu qui confronte les univers et interroge les frontières de la perception, du réel et de l’imagination.


S’il part effectivement d’un problème d’actualité, le dramaturge choisit de le traiter par la voie du « banal », de l’« anodin » en mettant en scène un événement minuscule : un jeune chinois travaillant dans la cuisine d’un restaurant thaï-chinois-vietnamien souffre d’une intense rage de dents. L’illégalité de sa situation (jamais abordée de face mais sousjacente, puis à peine prononcée par l’un des personnages au hasard d’une réplique) l’empêche de se faire soigner par les personnes compétentes.


Son sort est alors entre les mains de ses collègues, tous plus inexpérimentés les uns que les autres et tous préoccupés par la nécessité de « faire tourner » le restaurant. « Faire tourner » semble d’ailleurs être l’un des motifs propres à cette structure dramatique qui multiplie les changements d’échelle, opère des va-et-vient entre détail et tout, microévénement et macro-structure, réalité d’une situation qui vire au drame et fiction d’un monde où toutes les communications sont possibles.


Le problème de l’immigration clandestine est omniprésent, dans chaque détail, dans chaque description : ou plutôt c’est la mondialisation et ses conséquences paradoxales que Schimmelpfennig pointe du doigt dans chaque tableau. Sans doute est-ce le monde dans lequel nous vivons - celui de la communication tous azimuts - qui impose de luimême la refonte dramaturgique que propose l’auteur du Dragon d’or : un tel sujet d’actualité ne pouvait être traité qu’en réinventant une façon de raconter les histoires et l’Histoire.

Notes

[1] 1 Theater Heute, Jahrbuch 2010, « Eine aufregende Zeit, um für das Theater zu schreiben» (« Une époque excitante pour écrire pour le Théâtre ».)

[2] Theatermacher : ce mot désigne tout autant celui qui écrit pour la scène que celui qui met en scène et dirige les acteurs.

[3] « Was gewinnt man, wenn man es auf dem naturalistischen Weg versucht, und was verliert man dabei ? » trad : « Que gagne-t-on quand on essaie, pour la représentation, la voie naturaliste et qu’y perd-on ? »

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