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Le Diable en partage

+ d'infos sur le texte de Fabrice Melquiot
mise en scène Johanna Boyé

: Note d’intention

Le Diable en Partage de Fabrice Melquiot s’est imposé à moi par sa force, sa justesse. Mon principal objectif est de travailler à éveiller, chez le spectateur, la conscience d’une dimension universelle qu’on retrouve dans toutes les guerres et qui consiste à légitimer le crime contre un Homme parce qu’il est différent ou a une autre opinion. Mon travail repose sur la mise en lumière des pensées intimes des personnages. Existe alors, sur scène l‘indicible, l’inavouable, les peurs de ces Hommes prisonniers de leurs destins. Il nous plonge dans un voyage au cœur de leurs troubles, face aux contradictions de leurs choix. Pourquoi et comment certains résistent à la barbarie et au simplisme, et pourquoi d’autres cèdent à l’attrait de la puissance facile et piétinent jusqu’aux liens filiaux. C’est par la dimension poétique et symbolique du texte que se dégage de la mise en scène un univers imagé et parfois irréel. A travers le cauchemar d’une famille se reflète l’essence même du conflit. Les miliciens nous font traverser les champs de batailles au rythme effréné d’un jeu vidéo sous fond de musique rock. C’est de cette atmosphère que s’est élaboré un dispositif scénographique dynamique, évoluant et se transformant. On glisse d’un espace à l’autre, au gré des pérégrinations des personnages. Ce projet réunit un collectif d’artistes : compositeurs, costumière, ingénieur du son, vidéaste, metteur en scène, assistante et comédiens. Dans cette atmosphère de complémentarités, chacun use de ses talents pour construire un univers onirique. Cette mise en scène rythmée et contrastée, enchaîne musique rock, ambiance sonore et projections vidéos. La mise en scène se nourrit de la richesse des idées scénographiques de l’auteur, de la recherche avec les acteurs et d’une équipe artistique offrant les moyens de dépasser l’horreur de la guerre, pour aller sur les territoires de l’intime interroger nos responsabilités d’Homme. Plongés dans le rêve et l’évasion, on assiste, impuissants, à la chute des personnages.


Un éclairage philosophique :


Mon objectif de mise en scène n’est certainement pas celui de prendre parti quant à cette guerre, ni de dire qui avait tort ou raison. J’ai seulement l’ambition d’éclairer le public sur les désastres qu’amènent l’ignorance et sur ce qui peut arriver quand les hommes arrêtent de penser, de réfléchir ou de créer. C’est en ça que la Diable en partage doit être montré au plus large public possible. Je souhaite que les gens sortent du spectacle pensifs, qu’ils s’interrogent sur eux même, sur leur appréhension et leur vision du monde. Avec l’intime conviction qu’un autre monde, plus paisible , est possible. « le théâtre ne change rien au monde puisse-t-il continuer longtemps d’éveiller quelques consciences. »


Un éclairage historique :


Nous aimerions qu’à l’occasion des représentations, le spectateur s’intéresse à l’histoire du conflit. Car pendant les évènements, le traitement par les médias a souvent été obscur, voir inexact. Il semblait que tous ces peuples, (principalement les Serbes, les Croates, les Musulmans, les Slovènes, les Macédoniens ; les Monténégrins et les Albanais) soient des barbares destinés à s’entretuer et que tous soient également coupables. Or il y a bien eu un agresseur dans ce conflit (la Serbie de Slobodan Milosevic) et une extermination organisée, planifiée des populations qui gênaient l’expansion de cet agresseur. Même si des crimes ont été commis par chaque partie en présence (6 Républiques et 2 provinces) provoquant la mort de 200 000 « yougoslaves ». Les Bosniaques ont été les principales victimes des affrontements, et les Serbes les plus criminels. Le regard est seulement troublé par le fait que la Serbie a réussi à utiliser à son profit des institutions fédérales supposées protéger tous les membres de la Fédération. Elle les a retournés contre eux en utilisant le prétexte de maintenir l’unité de la Fédération face aux sécessions. Sécessions qu’elle avait elle-même provoqué. Et officiellement, elle n’était pas en guerre, elle agissait à travers l’armée fédérale qu’elle contrôlait et les milices serbes. Slobodan Milosevic a mis en place une active propagande à travers des meetings géants et le contrôle des médias pour activer la paranoïa des Serbes de Serbie et de toutes les parties de la Yougoslavie. Il a noyauté les institutions fédérales. Il s’est appuyé sur toutes les discordes historiques (Génocide supposé des Albanais contre les Serbes au Kosovo, Massacres commis par les Oustachis croates, Oppression ottomane, orthodoxie contre catholicisme et religion musulmane…) Les autres Républiques avaient en mémoire la première Yougoslavie de 1918-1941 déjà contrôlée par les Serbes sous la forme d’un royaume autoritaire. Elles se sont vite aperçues que leurs aspirations à l’indépendance et à la liberté après l’effondrement du communisme n’étaient pas compatibles avec la Fédération dominée par la Serbie. Elles ont donc fait sécession et c’est ce qui a servi de prétexte à l’intervention massive de l’armée fédérale au service de la Serbie. Par ailleurs, il existe entre la France et la Serbie une amitié très forte née principalement de l’intervention de Napoléon III (1809-1813) et d’un combat commun pendant la Première Guerre Mondiale. Pour cette raison et d’autres plus sombres, le gouvernement français semble avoir joué un rôle d’aggravation du conflit, ou du moins, avoir retardé sa résolution, comme le démontrent de nombreux auteurs, Bernard Henry-Lévy, Sylvie Matton et d’autres encore, en France ou à l’étranger. Le sujet est d’une grande actualité car la récente indépendance du Kosovo a récemment été de nouveau contestée par la Serbie. Néanmoins la volonté de la Serbie d’intégrer l’Union Européenne fait naître de nouveaux espoirs en faveur d’un véritable travail de mémoire. L’arrestation de criminels de guerre au premier rang desquels Radovan Karadzic en est une résultante concrète.


De l’histoire du conflit yougoslave, nous pouvons tirer de nombreux enseignements pour nous-mêmes : rester vigilant sur l’opposition des communautés, en particulier en période de crise économique, réaliser un véritable travail de pardon pour que des opportunistes n’utilisent pas de vieilles rancunes. Cette guerre n’était pas une fatalité.

Johanna Boyé

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