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Le Démon de Debarmaalo

+ d'infos sur le texte de Goran Stefanovski traduit par Maria Béjanovska
mise en scène Dominique Dolmieu

: Extrait

LE PRESIDENT — Je suis partout et toujours avec mon peuple. Cher peuple, mes concitoyens respectés. Permettez-moi de m’adresser à vous en tant que président de la République. Voilà, vous avez entendu cet homme. Cette perle du peuple. Ce trésor national. Pourquoi vous a-t-il dit toutes ces choses ? Parce qu’elles sont fausses. Parce que c’est une pure invention. Il met sa tête sur le billot, ouvre son cœur devant nous. Tout comme qui ? Comme le fils de Dieu, Jésus-Christ. N’avons-nous pas appris la leçon douloureuse de la Bible ?


Il sort des photocopies.


Depuis des mois, arrivent sur différents comptes d’État d’énormes donations anonymes. Pour la construction des routes, des hôpitaux, des facultés, des usines. Cela m’a intrigué, je voulais savoir qui était derrière tout cela. Toutes les pistes menaient à un seul homme. Le voilà, il est devant vous. Il est modeste, il ne veut pas en parler. Piétinez ses bonnes œuvres et piétinez sa vie, si vous êtes une foule insensée ! Mais si vous êtes un peuple raisonnable, aidez ce créateur, cet activiste ! Pour que nous devenions des gens nouveaux. L’œuvre du siècle ! Oui mais, dira l’un d’entre vous, oui mais, direz-vous tous : le grill marchait jour et nuit. Nous mangions des kebabs de viande humaine. Et bien entendu cette remarque est sensée et tout à fait justifiée. Mais nous demandons-nous un instant si cette viande était vraiment humaine. Ou bien s’il s’agissait de la chair des rebuts de la société, des ennemis du peuple, de la racaille, des types douteux et des renégats. Moralement cette chair est aussi sale que de la charogne. Pourquoi le peuple appréciait-il tant le goût de ces kebabs ? Parce que, sans le savoir, il mangeait ses propres bêtes sauvages. Mais l’ignorait-il totalement ? Ou bien le peuple avait-il la profonde intuition qu’il mangeait une nourriture écologiquement utile. Qu’avec chaque kebab il ne faisait que nettoyer le mal dans ses propres rangs et entretenait l’hygiène de la société. Qu’ont fait Koce et Mara, sinon ce que le Tout-Puissant aurait fait ? Ils éliminaient les pécheurs. C’est de la justice divine. Sauf que celle-ci est lente alors que la leur est rapide. Et organiquement propre. Et sur le plan technologique, avancée. Pour moi, en tant qu’homme politique et père de la nation, il est risqué de prendre parti d’un côté comme de l’autre, mais dans ce cas, je me range du côté de la vérité et de la justice. Ne trouvez-vous pas que notre Koce ressemble à Dojčin le Malade, qui avait passé quinze ans au lit, usant quinze literies, mais qui, avec l’aide d’Angelina, s’était relevé et avait égorgé l’Arabe noir ! Koce le malin, comme Pierre le Malin, fut obligé de se débrouiller. Et il a agi comme nous l’enseigne notre tradition la plus profonde et la plus tenace. C’est la preuve que notre peuple est indestructible ! Pour conclure : Koce est un homme simple, pris dans des circonstances exceptionnelles. Un homme normal, pris dans des circonstances anormales. Un homme – en transition ! Eh bien, puisqu’il en est ainsi, voici dix kebabs garnis d’oignons qui viennent d’arriver de son grill. Permettez-moi de me régaler et de lever un verre en l’honneur de Koce et Mara. À notre Koce et à notre Mara. Santé !


On entend de forts applaudissements. Le président mâche.


Faites venir les camions avec les kebabs chauds et les citernes de bière. Que la fête commence !

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