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Le Démon de Debarmaalo

+ d'infos sur le texte de Goran Stefanovski traduit par Maria Béjanovska
mise en scène Dominique Dolmieu

: Présentation

« Ce projet fait suite aux nombreuses activités de la Maison d’Europe et d’Orient en relation avec les cultures des Balkans, et notamment les précédentes créations de Balkan’s not dead de Dejan Dukovski, en 2009 au Théâtre de l’Opprimé, et Cette Chose-là de Hristo Boytchev à la Maison d’Europe et d’Orient en 2010, puis en tournée au Théâtre national de Macédoine. Le Théâtre national de Syldavie continue donc sa saga balkanique, aventure commencée en 1991, et jalonnée depuis de nombreuses productions dans une vingtaine de pays, dont de nombreuses collaborations avec le Théâtre des Nationalités de Skopje.


La naissance de ce démon est un cataclysme. Dans les mémoires macédoniennes, un tremblement de terre, puis une reconstruction conduite sur des modèles d’inspiration soviétique, et enfin une urbanisation anarchique sur fond de capitalisme sauvage. Mais le public fera sienne cette catastrophe, la replacera dans sa propre histoire, ou bien la reliera plus facilement à la chute des régimes soviétiques et aux guerres yougoslaves de l’après 1989. C’est un chaos originel qui engendre un monstre. Quelque chose qui vous déborde et vous révèle. Car ces créatures sont aussi furieuses que terriblement humaines. Le barbier n’est ni roi ni prince, mais un homme simple et sans histoire, issu d’une couche populaire. Le juge, quant à lui, appartenait déjà à la nomenklatura et a réussi sa reconversion, mais son pouvoir ne parvient plus à contenir sa frustration. Ils incarnent la « génération transition ». Le destin des personnages et celui du quartier sont intimement liés, mis en abyme, se reflètent l’un l’autre. Ils suivent un parcours parallèle, traversent les mêmes turbulences, accomplissent la même métamorphose.


Debarmaalo est donc aussi un territoire. Là se trouve le quartier général de la rébellion : une baraque, une vulgaire échoppe de barbier entourée de bâtiments arrogants, la dernière bicoque épargnée par les bulldozers. Hantée par le fantôme du grand-père. Ombres. Là se joue l’essentiel du drame, prend place la lutte entre l’ancien et le nouveau mondes. Mais la scénographie est bien celle d’un piège : un fauteuil qui vous tend ses bras.


Lorsque le barbier est envoyé derrière les barreaux, son seul crime est d’avoir suscité la jalousie d’un juge aussi puissant que corrompu. Libéré, livré à lui-même, le barbier met sa vengeance en œuvre et se vautre dans le carnage. Folie meurtrière. Fauve d’un zoo providentiel. Dès lors on assiste à une vision grotesque des rapports sociaux, à un amalgame profondément immoral et démagogique. Poétique inattendue du cynisme sans bornes. Un duel mené en séquences, d’abord à distance puis en tête-à-tête, en défis et provocations, entre un sauveur autoproclamé et un juge véreux. Tension.


La victime de la société, sa peine purgée, fait le choix du grand nettoyage, et une fois celui-ci terminé, devenue bourreau, elle repose sa tête sur le billot. Entre-temps, sur le fauteuil, après de brèves confessions, une brochette d’escrocs en tous genre s’est transformée en kebabs. Le peuple a dévoré ses propres monstres. Viande. Anthropophagie. Cannibalisme. Enfin le Président en personne, n’hésitant pas à invoquer héros de la nation et saintes écritures, hygiène et haute technologie, vient donner l’absolution et récupérer le nouveau messie au nom de l’utilité publique. Double rédemption.


La fable du barbier emmène une navette mythique rendue célèbre par les productions anglo-saxonnes (Sweeney Todd de Tim Burton, etc.), mais dont la gare de départ se situe sur l’Ile de la Cité, en 1387, où le premier récit d’un couple criminel barbier / cuisinier est rapporté. A l’époque, on rasait la maison des coupables… Ceux-là furent brûlés vifs. A la sauce balkanique, l’ensemble est, comme souvent, une farce, une comédie noire. Mais celle-ci est d’abord un projet grandguignolesque, qui utilise tous les ressorts du mélodrame façon XIXe siècle : amours croisés et romantiques, innocente victime d’une machination, menaces contre la vertu et la fidélité, disparition puis reconnaissance de l’enfant disparu. Le croisement – en témoignent les flots d’hémoglobine - reste… gore.


La trame classique initiale est utilisée en parodie, et les différences de cette variation macédonienne lui donnent tout son caractère. Ici notre héros ne s’évade pas, il tient à effectuer sa peine jusqu’au bout… Un humour gaillard et grinçant naît en bonne partie de ce décalage, de cet esprit sudiste et oriental, slave et méridional. Le langage est brut, sobre, efficace, économe. Le discours... tranchant. La musique alors s’élabore sur des grilles de « suspense ». Si Debarmaalo était une danse, ce pourrait être un tango. Le mouvement est celui de la lame du rasoir. Sang.


Derrière le moteur de la vengeance, ou encore du désir ou de l’amour, il y a la place de la chose publique après un demi-siècle de collectivisme obligatoire. Individualisme forcené. Après le bouleversement, la déroute, la faillite, le désordre. Un nouvel espace ou chacun doit faire sa place, lutter pour la survie. Cupidité, avidité. Bousculade. Fatalité ? Après un demi-siècle de réalisme soviétique, un démon s’empare de la réalité. Révolution ? La fortune sourit aux audacieux. Apnée dans l’horreur.


Skopje, du grec skopein, observer à distance (en français le suffixe –scopie), est donc un point de vue. Un concept, comme dirait le personnage de Schengen : Ethnik, ou Citizen ».

Dominique Dolmieu

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