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Le Colonel des zouaves

+ d'infos sur le texte de Olivier Cadiot
mise en scène Ludovic Lagarde

: Entretien avec Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde

Entretien rélisé pour le Festival d'Avignon 2004

Est-ce que le fait de présenter en même temps trois spectacles, Le Colonel des Zouaves, Fairy Queen et Oui, dit le très jeune homme vous permet de montrer que votre collaboration relève d’une histoire, d’un cheminement commun?


Ludovic Lagarde : Cela permet de considérer notre collaboration sur le long terme, d’inscrire notre travail au sein d’une histoire partagée. C’est en 1997, avec Le Colonel des Zouaves, que notre manière de travailler ensemble s’est modélisée. Fairy queen est la nouvelle création à partir du dernier texte d’Olivier Cadiot. Parallèlement je mets en scène, Oui dit le très jeune homme (1944-45) de Gertrude Stein, qu’Olivier Cadiot a traduit. Je n’avais pas envie de monter du Stein pour monter du Stein, mais j’ai particulièrement aimé cette pièce qui mêle une écriture «avant-gardiste» typique de ces années à une réalité historique tangible, celle de l’Occupation. Oui, dit le très jeune homme m’a fait penser à la fois à la pièce de Bertolt Brecht, Celui qui dit oui, celui qui dit non, et à celle de Nathalie Sarraute, Pour un oui et pour un non. Historiquement aussi, cette pièce se trouve au milieu, entre une pièce didactique et une recherche formelle.


Olivier Cadiot : C’est une sorte de comédie musicale sans musique. Il y a une manipulation bizarre du chant (de la poésie?) dans cette pièce. Toute la méthode Stein est là, mise à plat, décadrage, répétitions, effets de spirales, mais pour une fois c’est un drame politique. Le dilemme du oui ou du non est tragique dans cette pièce : oui ou non je suis pétainiste ; oui ou non je suis neutre ; oui ou non je suis maquisard ; oui ou non je suis aristocrate, oui et non je suis américain etc. Cette pièce produit un effet de réel feuilleté : par touches simples et successives, un effet de complexité, un effet de réalisme psychologique étonnant, à l’envers.


LL : Le choc cubiste que ressent Gertrude Stein, lorsqu’elle découvre les tableaux de Picasso, est mis en pratique dans cette pièce. Les facettes des personnages se déploient et se fractionnent comme sur une toile cubiste. La pièce peut ainsi se regarder dans tous les sens.


En quel sens peut-on dire qu’il s’agit d’une pièce «engagée»?


OC : Il doit bien y avoir un moyen d’échapper à ce dilemme entre théâtre engagé et théâtre dégagé, qui est aussi bête que le dilemme forme/fond dans l’écriture ou l’art. Cette pièce est à la fois formelle et concrète. C’est du «réalisme formaliste» comme disait Pierre Bourdieu, la forme du texte lui-même crée des effets de réel, et s’engage.


LL : Gertrude Stein est devenue plus française que les Français. Elle a passé la deuxième guerre mondiale dans un village occupé. Bien que juive, elle a refusé de s’enfuir. Elle a passé la guerre à prendre des notes. Et cette pièce est très autobiographique, il s’y dessine une objectivité de l’intérieur. Les personnages sont «agis» par la guerre et cherchent leur libre arbitre. On ne comprend pas bien ce qu’ils veulent, ni ce qu’ils cherchent. Il n’ y a pas non plus de point de vue héroïque. Il y a Denise, la femme française pétainiste, ou Constance, l’Américaine neutre. Et tous ces personnages sont emblématiques d’un certain état de la France.


Ce «réalisme formaliste» est déjà très présent dans Le Colonel des Zouaves. Car il ne s’agit pas que d’une joute formelle, mais également de rapports de force, de domination, voire de dialectique entre maître et esclave. Chez ce majordome dont le cerveau est le nerf de la pièce, l’intimité rejoint la question de l’être et du paraître social…


OC : Si on présentait Le Colonel des Zouaves comme une fable sur le monde du travail, peut-être que sa réception changerait. Ce qui m’intéressait c’était de trouver une forme spéciale, le monologue oppressé? le discours indirect non-libre?


Qu’est-ce qui vous a donné envie de collaborer ensemble?


OC : C’est Ludovic Lagarde qui m’a emmené au théâtre. Auparavant, le théâtre m’était une chose lointaine. Je ne pouvais envisager que la lecture ou la performance d’auteur. Ce qui est compliqué, c’est que nous ne nous inscrivons pas dans une démarche transdisciplinaire. Notre collaboration n’est pas de l’ordre de l’accumulation. On est chacun assez méfiant, on a chacun une vision assez tronquée des problèmes artistiques. Notre collaboration se passe dans le temps, non pas dans la décision, ou alors dans des microdécisions. La première chose qui m’a convaincu, ce sont Les Dramaticules de Beckett, que Ludovic avait mis en scène. La superposition de bande magnétique et de voix directe créait un mélange de présent et de différé proche de la littérature, loin de la fausse incarnation. Notre relation de travail me donne une très grande liberté, ce qui fait que le théâtre me reste assez étranger. Je continue à essayer d’écrire des livres dédiés à l’oral qu’il adapte, transforme, prolonge et ampute. Il obtient par des moyens différents des sensations, des matières, analogues aux livres. Je retrouve dans ses mises en scènes, grâce à sa collaboration avec le musicien Gilles Grand, des dispositifs qui rapprochent le théâtre de la poésie, de la performance, et même dans un autre sens, de la fiction.


LL : J’ai commencé en choisissant les textes les plus proches de la littérature et de la poésie sonore. Et puis, quand j’ai lu un texte d’Olivier Cadiot, ça m’a tout de suite éclairé sur ce que je voulais mettre en scène. À chaque fois que je travaille, j’essaye de me poser uniquement des problèmes de théâtre. Je cherche une dramaturgie qui ne soit pas uniquement intellectuelle, mais en acte. La question est de savoir comment faire pour retrouver sur scène la particularité de la littérature d’Olivier. Comment, en changeant de medium, retrouver le texte et l’idée du texte? Comment retrouver sa voix intime en créant une polyphonie? Le travail que nous menons avec le son tourne autour de ces questions. Je fais de la mise en scène pour apprendre à lire. Le théâtre est une lecture, au sens du «play» d’un lecteur CD. La question venait aussi du fait qu’Olivier décrit absolument tout dans ses didascalies. On a dû parfois couper une partie de son texte.


O.C. : Le théâtre peut être la phase bienheureuse, épiphanique du travail d’écriture Ça marche par trois bandes au billard, mais ça n’empêche pas de faire des choses très classiques, comme de dédier un texte à un acteur, de le tailler sur mesure pour lui. C’est le cas avec Laurent Poitrenaux, avec qui Ludovic travaille mes textes comme un exégète.


Quel est le chemin parcouru entre Le Colonel des Zouaves et Fairy queen?


LL : Pour Fairy queen, je voulais reproduire de l’hétérogénéité. C’est pourquoi j’ai proposé à Olivier de faire ce travail à trois personnages. La fée va chercher dans le XXe siècle une réponse à des problèmes du XXIe. La forme aussi repart en arrière, puisqu’on commence avec la même structure que dans Le Colonel des Zouaves. Au début, la fée entre dans une pièce d’un appartement parisien et, par la fenêtre, voit l’Amérique. C’est une chorégraphie de l’accélération du temps. Ce qui m’intéressait, c’était aussi le personnage de femme émancipée que représente la fée. Il s’agit d’une femme qui ne marche pas dans le désir de l’homme, qui n’est pas objectivable, pas collectionnable. Elle règle ses comptes avec le narrateur, et répond au Colonel : on peut parler d’émancipation chez elle de la même manière que l’on parle d’asservissement dans Le Colonel des Zouaves.


OC : Entre les deux il y a un autre livre Retour définitif et durable de l’être aimé, qui fait évoluer le récit que je poursuis depuis plusieurs d’années, peut-être que le héros devient moins allégorique? Peut-être qu’on gagne un peu plus de présent?


Comment peut-on adapter un texte comme Fairy queen pour le théâtre et comment articulez-vous la poésie et la fiction dans ce cas précis?


OC : Dans chaque nouveau livre j’essaye d’articuler poésie et fiction de manière différente. Futur, ancien, fugitif, par exemple constituait une histoire, une robinsonnade, en juxtaposant des blocs de poésie. Un roman par poèmes. On découvre l’histoire en avançant dans le puzzle. Exactement comme le héros devient progressivement un sujet en rassemblant les pièces détachées, des objets et des pensées. Avec Le Colonel, c’est le récit, la parabole qui enferme des digressions. Il y a des échappées de poèmes, comme le héros passe dans le décor, à la course. Dans Retour, la scène s’est déplacée dans le cerveau, et le poème n’est plus à plat mais en profondeur, à l’intérieur du corps de l’histoire, comme une cicatrice ou une anamorphose. D’habitude, la poésie est à plat, all over, on voit ses bords (ses vers ou son contour) dans un livre idéal elle deviendrait invisible et très active. Dans Fairy queen, toutes ces tentatives sont prises au pied de la lettre, c’est l’histoire de l’histoire, la fée qui veut devenir performeuse rentre à corps perdu dans une scène déjà-vue, la poésie rentre dans le roman familial, dans le Salon Stein, c’est une muse combative. Elle rêve d’un régime spécial de la parole, solide et gazeux, parlé et écrit, d’une installation de parole en relief, ça n’a pas l’air facile!
Poésie et fiction se défigurent en cohabitant, ce qui était matériel devient abstrait et inversement, le poème devient l’argument, le récit le décor puis de nouveau l’inverse, une forme est un fond, etc. Pour quoi faire? Pour essayer de donner de l’espace dans les livres, un espace spécial, un espace que seul peut fabriquer la littérature. Curieusement, ce n’est pas contradictoire avec le théâtre, Ludovic Lagarde travaille cet espace, mais avec des moyens différents. Ce n’est pas seulement «l’oralité» (la lecture publique de ces textes en donne une version très différente) qui permet de passer au théâtre c’est aussi la rêverie d’espace, d’hétérogène, d’assemblage. Ce qui est intéressant c’est qu’il faut à nouveau ici mettre des éléments en tension, le théâtre et le sonore, le vrai et le faux, etc. Quand je réponds à une commande de théâtre par un livre (à adapter) ce n’est pas pour dénier la scène c’est, en lui tournant le dos, espérer lui donner un objet plus large. Comme @#Fairy queen ne devait pas être un monologue, il manquait du texte, au lieu d’ajouter des dialogues sur le vif, j’ai écrit un tout petit livre supplémentaire, Alice, qu’il a fallu réadapter et réinsérer dans le cours de la pièce, etc.


Dans quelle mesure l’accompagnement mis en oeuvre par le Festival d’Avignon vous a-t-il permis de créer Fairy queen et Oui dit le très jeune homme?


LL : Parallèlement au soutien qu’apportent à nos productions le Théâtre national de la Colline et le Nouveau Théâtre d’Angers, la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon nous a accueilli pour une résidence de travail de plusieurs mois. Cette longue période de repli nous a permis de préparer la traduction ou l’adaptation et la mise en scène de ces trois pièces en compagnie de dix comédiens, d’une équipe artiste et technique, tous très investis dans l’élaboration de ces projets. Tout cela dans un lien tissé tout au long de la saison avec le CIRCA et le Festival d’Avignon.

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