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Le Chœur

mise en scène Fanny De Chaillé

: Entretien avec Fanny De Chaillé

Propos recueillis par Agathe Le Taillandier

Vous reprenez cette année votre pièce Le Chœur, présentée l’an dernier au Festival d’automne à Paris dans le cadre du dispositif Talents Adami Théâtre. Pouvez-vous nous rappeler l’origine de ce projet ?


Fanny de Chaillé : Le dispositif Talents Adami Théâtre m’a commandé une pièce l’an dernier : je devais travailler avec dix acteurs de moins de trente ans - cinq femmes et cinq hommes. J’avais envie depuis un certain temps de faire une forme chorale et cette demande de l’Adami est arrivée. Je me suis dit que c’était le bon moment et le bon endroit pour explorer cette forme, fabriquer un chœur avec des gens que je ne connaissais pas, des anonymes en quelque sorte, ce qui me semble répondre parfaitement à la forme originelle du chœur. Je souhaitais travailler la forme chorale en la considérant comme une identité collective polymorphe et mettre ainsi à distance l’identité singulière, celle d’un protagoniste identifié par un nom propre et un rôle figé. Dans cette perspective, fabriquer un chœur est très concret : je ne voulais pas faire une pièce pour promouvoir individuellement les acteurs Adami, où chacun aurait son petit solo mais faire chœur pour échapper, dans une certaine mesure, à la logique du spectacle comme objet de consommation et de divertissement, de mise en avant de soi.


Vous avez pu répéter après le premier confinement au cours de l’année 2020. En quoi ce chœur que vous étiez en train de fabriquer prenait une dimension particulière dans ce contexte collectif si particulier ?


Fanny de Chaillé : Les répétitions ont eu lieu après le premier confinement et nous nous rendions compte de la chance que nous avions à ce moment-là de faire chœur. Cela nous a vraiment aidé à continuer à avancer et à penser. Mais comme je n’étais pas sûre (à cause des conditions sanitaires) que nous pourrions faire ce spectacle pour la scène, j’ai envisagé de fabriquer en parallèle deux autres formes d’adresse : des podcasts radio et un journal. Il fallait inventer d’autres dispositifs pour notre chœur, donc tous les matins quand je retrouvais l’équipe, nous commencions par un comité de rédaction dans lequel chacun exposait ses idées pour ces deux formes-là. Cela nous obligeait à réfléchir, au-delà de la scène, à la spécificité de la page du journal et de la voix en radio. Les journaux ont été distribués avant les représentations qui ont eu lieu finalement et les podcasts diffusés en ligne. Au fond, la contrainte nous a fait inventer d’autres formes.


Comment la forme du chœur vous permet d’interroger la prise de parole et son écoute sur scène ?


Fanny de Chaillé : La parole mais aussi ses dispositifs d’écoute sont au centre de mes recherches. Avant Le Chœur, j’ai monté Désordre du discours à partir de L’Ordre du discours, la leçon inaugurale donnée par Michel Foucault au Collège de France en 1970 et dont nous n’avons aucune trace enregistrée ou filmée, simplement un texte publié des années après l’événement. Il fallait grâce au théâtre revenir de ce vide, de cette absence de trace et me servir de l’amphithéâtre, de sa forme et du corps de l’acteur (Guillaume Bailliart) pour incarner cette pensée, re-créer les conditions d’écoute et de réception de cette parole, de ce discours sur le discours. Le chœur s’est ensuite avéré être la forme idéale pour continuer à creuser cette recherche car il est à la fois celui qui énonce (l’acteur) et le récepteur de cette énonciation (le spectateur). Et en même temps un chœur ça n’existe pas dans la réalité, c’est une forme abstraite qui permet de penser, de conceptualiser ces deux positions. Et puis, il nous a permis de créer du lien entre les acteurs : quand il y en avait un qui se détachait du groupe, qui devenait le coryphée pour raconter un récit, les autres devaient construire autour de lui une possibilité d’énonciation pour sa parole ou son geste. Au fur et à mesure des répétitions, je découvrais toutes ces ressources à l’intérieur même de la forme chorale, c’était très réjouissant. Vous collaborez avec Pierre Alferi depuis plusieurs créations.


Qu’est-ce qui vous a attiré dans son écriture et plus particulièrement dans ce texte : « Et la rue », extrait de Divers Chaos qui est le point de départ de votre pièce Le Choeur ?


Fanny de Chaillé : Je voulais, pour travailler le chœur, me confronter à une forme poétique, et j’ai lu ce texte de Pierre. C’est un assemblage de plusieurs poèmes : il fait état des manifestations contemporaines et de leurs répressions. Il mêle la force du geste politique à la cadence métrique d’un flux poétique. Ce texte a été mon point de départ. Et puis, pour Pierre Alferi, un poème est toujours écrit à partir d’une date. Cette idée a nourri un travail d’improvisations avec les acteurs. Je leur ai demandé quand leur histoire personnelle et intime avait rencontré la grande Histoire. Ils ont commencé à travailler là-dessus, et cela a donné par exemple la première scène du spectacle autour des événements du 11 septembre 2001. Je me suis rendue compte que ces jeunes gens avaient vécu cet événement enfant, devant leur télévision et que cela avait été un moment fondateur. Et puis il y a une multitude d’autres récits qui sont nés autour de cette confrontation avec l’Histoire : nous les avons épuisés, nous les avons faits et refaits, jusqu’à qu’ils me racontent des histoires qui n’étaient pas leurs histoires mais des récits qu’on leur avait rapportés ou qu’ils inventaient. Il y avait beaucoup de jeu dans ce travail d’improvisations. Par exemple, la première scène du spectacle autour du 11 septembre s’est tissée à partir d’improvisations qui reposaient sur un principe simple qu’on appelait entre nous : « surenchérir sur le drame ». Vous savez, quand on est enfant, on a toujours envie de raconter quelque chose de plus fort que son voisin, de plus impressionnant. On joue à se faire peur pour se rendre plus intéressant ou pour attirer l’attention. Comme eux-mêmes étaient enfants quand les événements du 11 septembre ont eu lieu, je voulais les replonger dans cet état-là et situer leur parole historiquement. Tous ces textes sont donc nés d’improvisations et construisent la partition du chœur permettant à chacun d’avoir un récit à lui qui dialogue avec celui des autres.


C’est un spectacle très rythmé, très millimétré entre les gestes, les sons du groupe et les prises de parole individuelles ou collectives, comment une telle chorégraphie s’est-elle dessinée au cours des répétitions ?


Fanny de Chaillé : Le Chœur, c’est une vraie chorégraphie. Je travaille toujours comme ça pour mes spectacles et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi des comédiens qui avaient une pratique de la danse en parallèle de leur pratique du théâtre, des gens qui ne sont pas forcément des danseurs mais pour qui le travail sur le corps est important. Ils avaient pleinement conscience que je travaille plus comme une chorégraphe que comme une metteuse en scène. Les quinze premiers jours n’ont été pratiquement que des ateliers de danse pour qu’ils puissent apprendre concrètement à se supporter, se porter, s’entraider physiquement... Et c’est grâce à ça que nous avons réussi à fabriquer ce collectif-là : très vite ils ont été obligés d’être ensemble pour pouvoir prendre des risques. Les ateliers les mettaient en mouvement et leur ont permis de trouver une respiration commune. C’est un spectacle que j’ai beaucoup préparé, comme souvent mais celui-là un peu plus car j’étais confinée, ce qui m’a permis d’écrire une partition en amont des répétitions. Mais elle s’est enrichie et déplacée en travaillant avec les acteurs et avec leurs improvisations : je pense par exemple au récit central de la narratrice, celui qui permet de « faire sortir » les histoires les unes après les autres au fil du spectacle. Ce fil rouge est né d’un contre-sens en improvisation : je les avais lancés sur « le jour où votre histoire a rencontré l’Histoire ». Et une des jeunes femmes présentes commence à improviser sur une coupure de courant chez elle l’obligeant à sortir dans la rue, elle expliquait comment elle passait d’un espace privé à un espace public, de l’intérieur à l’extérieur (c’est ainsi qu’elle avait compris la petite histoire versus la grande histoire). Et j’ai trouvé ça génial car cela m’a amenée ailleurs. J’ai gardé son histoire comme un récit enchâssant tous les autres. Il permet ainsi d’ouvrir des portes sur scène, comme un exercice à la Perec.


Vous faites le choix d’un rapport frontal avec le public. Est-ce une manière de ne jamais faire théâtre au sens classique du terme ?


Fanny de Chaillé : Le texte sur scène est autant adressé aux acteurs sur scène qu’au public. Mon spectacle est un chœur qui parle de ce qu’est un chœur, le risque était donc de se replier sur soi, de mettre les spectateurs à distance. Là, le texte leur est lancé de face, il est clairement adressé mais tous les interprètes participent à la construction de cette adresse qui ne fonctionne en définitive que si le public fabrique avec eux la dernière image selon un principe de collage. C’est de toute façon ma marque de fabrique en tant que metteuse en scène, et comme spectatrice c’est ce que j’aime voir sur un plateau. Et je pars du principe que si le public est là, c’est qu’il a envie de jouer à ce jeu-là avec nous.


  • Propos recueillis par Agathe Le Taillandier pour le Festival d'Automne
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