Un monde marchand

Tous les personnages en ont après la pièce dʼor du Capitaine et usent de tous les stratagèmes possibles pour lʼobtenir. Ainsi on verra les médecins disputer à Malloy un mourant pour le recycler entièrement. Ils veulent vendre ses organes, faire de la farine avec ses os et utiliser les chairs pour les vendre sous forme de boîtes de thon. Cet hôpital est une représentation cauchemardesque en miniature de nos sociétés : un lieu de malades dirigé par des fous cyniques mercantiles et dangereux.

Un monde rongé par « le cancer »

Le personnage emblématique de la pièce est le Capitaine Cancer et sa terrible pince de fer. Lorsquʼil pince un homme, il lui propose aussitôt un contrat faustien. Contre la vie il propose lʼamoralité et la jouissance dʼune vie de consommation sans remords et sans humanité. Le cancer est ici le symbole de toutes les maladies qui peuvent ronger lʼhumain, quʼelles soient physiques ou mentales. Le Capitaine Achab se meurt du cancer le plus terrible, celui de vivre dans un monde qui ne lui permet plus dʼaccomplir ses rêves.

La baleine blanche …

La baleine blanche symbolise le lieu de tous les possibles et de tous les phantasmes inaccessibles. On la cherche sans la trouver, on la désire tout en la craignant. Tantôt la Baleine blanche est présentée comme terrible, tantôt elle est décrite comme un paradis. La Baleine blanche que cherche désespérément le Capitaine Achab est aussi une représentation rêvée et heureuse de la mort. La trouver est pour lui aborder sur un dernier rivage : celui dʼune île loin dʼun monde qui le refuse.

Une mort digne et heureuse

A travers les doses de morphine que prend le Capitaine Achab se pose aussi la question de la mort assistée et de lʼorganisation de la cérémonie des adieux. Comment préparer son enfant à lʼinéluctable. Jusquʼoù sommes-nous prêts à aller pour aider ceux que nous aimons. En accompagnant Achab dans son dernier voyage vers la mort, Malloy accomplit par amour un des plus beaux actes humains : rendre la mort digne et sereine.

La fantaisie et lʼhumour

Pour évoquer tous ces thèmes, il ne lui a paru quʼun moyen possible, celui du rire et de lʼironie. Les situations sont volontiers extrêmes et les personnages souvent caricaturaux. Cela permet de laisser une large place à lʼhumour ou la drôlerie. Lʼunivers de vieux loups de mer et tous ses clichés entre Malloy et le Capitaine Achab en est un exemple. Un autre est le côté « opérette » de la pièce. Outre les parties chantées, il y a une volonté de jouer avec bonheur avec le rêve et la fantaisie.

Cʼest donc à une aventure épique à laquelle on est convié. Les personnages sont des archétypes aux facettes différentes et variées. Ici, le réel est détourné et disparaît dans la folie de lʼaction et des situations. De lʼhôpital, on passe sans détour au monde marin du baleinier Achab. Cela permet dʼutiliser dans ce monde imaginaire toutes les ressources de lʼillusion théâtrale : apparitions, images, danse, chant et musique. Encore une fois, Benjamin Knobil parle de choses graves en jubilant !

« Le Chant du Crabe » est avant tout une pièce qui expose avec pudeur les relations père/fils. A travers cette thématique de lʼintime, cette pièce nous engage, sur un mode marin, de manière grave mais avec un humour noir et mordant, une ironie dramatique, sur un questionnement universel : Jusquʼoù faut-il se battre avec rage et indignation féroce, transmettre des valeurs et une éthique humaines pour garder sa dignité?