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Le Cauchemar

mise en scène Jean-Michel Rabeux

: Le Spectacle

Ceci n’est pas une adaptation de Shakespeare mais plutôt…


... un sale rêve
Ce texte me fait peur. Est-ce bien moi qui l’ai écrit ? Je l’ai d’abord intitulé Le Cauchemar, parce que je l’ai écrit comme dans un rêve, un sale rêve.
S’il ne relate pas un fait divers - ses excès surréalistes le protègent du fait divers - s’il ne raconte pas une histoire familiale vraisemblable, il vient bien de moi. D’un moi avant moi. Il vient du plus singulier de ma vie sans doute et, paradoxalement, je sais qu’il vient de vous, de tous les humains.
Seule cette certitude, fallacieuse peut-être, me permet de le dresser debout sous la lumière des projecteurs. Nous sommes tous faits de ce limon, j’ai des preuves.
Le texte aborde, avec comme outil la langue, les rêves qui nous fondent, ceux de la tragédie.
Une tragédie absurde, onirique, mais impitoyable comme sont les rêves.


… un procès
Chacun d’entre nous, je suppose, a cauchemardé une nuit se tenir devant ses juges, car chacun d’entre nous sait que personne n’est innocent aux yeux de tous, c’est-à-dire aux yeux de la Loi. Telle est la raison de cette façon de procès qu’emprunte le texte : la confrontation violente entre le je et le nous.
On juge deux femmes : une mère, une fille. Pour leurs rêves ou pour leurs actes ? Les trois premières audiences sont celles de la mère, la dernière celle de la fille. Les audiences sont publiques. Les inculpées seront évidemment condamnées.
Ce procès est un cauchemar, où nos faits et gestes cachés, privés, seraient soudain privés du privé, du secret auquel ils ont droit. Nos sombres pensées soudain étalées en place publique, dans les mots de tous.
Les mots sont aussi des geôles, des menottes, que le langage tend vers les coupables que nous sommes, comme le fanatique tend le crucifix à celui qu’il torture et qu’il brûle. Les mots brûlent.


Premier crime : la mort
Comment vivre quand on sait qu’on va mourir ?
Comme le suggère le titre du texte, c’est une vieille question, beaucoup plus vieille que ce titre d’ailleurs. On la qualifie d’existentielle. C’est une question idiote que se posent certains idiots. D’autres, beaucoup d’autres, tous très intelligents, ne se la posent pas, refusent même qu’on ose la poser. Ils se la cachent, par l’invention naïve de l’éternité, ou par l’aveuglement hédoniste du carpe diem. D’autres humains y répondent par le pouvoir et l’argent. Presque tous y répondent en donnant la vie.
Le théâtre, qui est fait pour des idiots par des idiots, se la pose depuis toujours. Il donne la vie, lui aussi, comme Agamemnon donne la vie à Iphigénie, comme Clytemnestre donne la vie à Oreste, ou Jocaste à OEdipe. Le théâtre, qui n’est pas avare de crimes, nous raconte ces mises à vie là.
Bien avant de connaître l’existence de ces héros, je savais, moi, que lorsqu’on donne la vie, on offre la mort du même geste. Je le savais puisque, quand j’eus cinq ans, ma mère, ma douce maman, m’abandonna définitivement dans les doigts crochus de la vie. Ce texte en est la cicatrice.


De cette question de la mort au sein de la vie, je tente donc de faire une tragédie. Tragédie, c’est un mot qu’on n’ose plus trop employer au théâtre, en tout cas au présent. Il plonge, il s’abîme, il nous entraîne dans l’abîme du sang, de la génération.
Tragédie de la famille, toujours la même sans doute depuis la naissance de l’humain. Les Atrides en sont la trace théâtrale pantelante. ça vient de loin, de plus loin encore que les Mycéniens.
« Le fils est un loup pour le père, le père est un loup pour le fils. » Ici, il s’agit plutôt de mères et de filles. Parce que c’est ma mère qui est morte, je suppose. Probablement aussi parce que je suis une fille.


Second crime : l’inceste
Ce texte a une autre source que ma vie enfantine.
Un grand ami me raconte un jour un livre qu’il vient de lire. D’un psychothérapeute, je crois. Le livre rapporte des entretiens avec une femme, amoureuse de son père depuis l’enfance, dans l’inceste accompli depuis l’enfance. Mais amoureuse. Elle se marie. Son père a un cancer. Elle retourne chez lui pour le soigner. Il meurt. Elle disparaît. Elle se tue ? Je ne sais plus, mais je sais : elle meurt. Une fille amoureuse de son père, à en jouir, à en aimer, à en mourir ! Propos inadmissibles, rêves répréhensibles, pratiques criminelles. Qu’en faire d’autre que du théâtre ?


Troisième crime : l’affirmation des deux premiers.
Un rêve d’enfant
Je ne sais des autres enfants, mais quand on est orphelin de mère, très jeune comme je le fus, on rêve de tuer ou de mourir. On rêve d’inceste.
On en caresse l’espoir déçu : si seulement ma mère avait abusé de moi au lieu de m’abuser en me faisant croire qu’elle serait là toujours, et puis, hop, mourir.
« Ma mère, s’il te plait, murmure en vous l’enfant, ne meurs pas, aime-moi, fut-ce beaucoup trop, fut-ce d’un amour mortel et pour toi et pour moi ! »
Evidemment, ce n’est qu’un rêve d’enfant, une terrible fantaisie que l’enfance a gravée en moi. Ce rêve n’est presque pas mien, il est presque vôtre. Apaise-t-il les douleurs de la vie ? Les attise-t-il ? Je ne sais. Mais je sais qu’il faut le regarder de face, droit dans ses yeux d’ombre. Parce que c’est interdit par les hommes et les dieux.


Trois personnages, trois acteurs
La Mère
Abîmée par le Temps, jetée comme un déchet sur un trottoir, clodo à l’âme torturée par la gestation et les crimes qu’elle y associe et dont elle s’accuse : matricide, infanticide, inceste et autre dévoration.
La Mère n’est pas une mère, mais une actrice pour qui le texte fut écrit.
Ce texte n’aurait pas existé sans Claude Degliame. C’est elle qui s’imposa à mon esprit dès que ce personnage de mère/fille sortit, plein de sang, de mes rêves. C’est sa chair d’actrice qui me donna le courage de continuer d’écrire. C’est elle qui, à présent, me donne plus que le courage, une solution pour le jouer. Actrice de désordre amoureux, de cruauté douce, d’excès implosé, tragédienne, pour tout dire, mais baroque, grinçante, drôle. Je ne vois qu’elle pour mettre de l’humain délicat dans ce pire de nous. Je ne confierais ce texte à personne d’autre.


La Fille
Jeune femme flic, belle comme Rimbaud comme il est dit d’elle dans le texte, produit de l’inceste de sa mère et du père de celle-ci ? Ou seulement le craignant par-dessus tout ? Ou seulement le désirant par-dessus tout ?
La Fille n’est pas une fille mais une actrice pour qui le texte fut écrit.
J’ai rencontré Vimala Pons au Conservatoire nationale supérieur d’art dramatique de Paris, à un atelier de troisième année dédié à Opérette de Witold Gombrowicz. Sans que je l’aie cherché, en écrivant ce personnage d’ordre, soit disant, c’est cette toute jeune actrice qui se glissa dans ma tête. Belle comme Rimbaud, quand elle le veut, râpeuse comme une pierre quand elle le veut, fille très garçon, comme elle l’était dans Opérette. Douce, inflexible, profonde, à fleur de peau, musicienne, chanteuse, un corps de circassienne, une âme osée qui n’a pas reculé lorsque je lui ai proposé ce texte impossible.


La Question
Qui, comme son nom l’indique, questionne et torture. Comment jouer l’Ordre absolu et tranquillement impitoyable ? C’est injouable, comme tout ce qui simplifie la vie. Et qui, plus que l’ordre judiciaire, simplifie l’humain ?
Il fallait trouver l’antithèse.
Il fallait trouver quelque chose, ou bien quelqu’un. Dans l’écriture, j’ai trouvé que ce personnage dérapait parfois dans une folie surréelle. Dans la distribution j’ai trouvé, tardivement, qu’Eugène Durif pouvait jouer le personnage. Parce qu’il en est l’antithèse, de corps et d’âme. Du paradoxe entre la personne /acteur Durif, lunaire, incertain, et ce personnage par trop univoque dans la dureté, comme l’est un procureur véritable, doit naître une énigme, c’est-à-dire la seule chose qui m’intéresse au théâtre.

Jean-Michel Rabeux

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